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Et il est vrai que l’Ordre a joué son rôle dans les luttes libératrices. Un autre cloître, plus vaste que le premier, entoure de sa mince colonnade une cour plantée d’arbustes fleuris ; c’est d’une grâce silencieuse et recueillie, bien franciscaine. Dans chaque angle, une vasque de marbre évoque le murmure absent d’une fontaine jaillissante : « Votre sœur l’eau s’est tue, mon Père, » dis-je au Prieur. — « Le Général parle comme un fils de saint François ! s’écrie-t-il en se tournant vers ses Pères. C’est un vrai fils de saint François. » — « Je ne saurais aspirer à un tel honneur, et c’est tout au plus si je pourrais être un frère lai. » — « Oui ! un frère lai ! les plus humbles sont les meilleurs ! Venez, venez voir ! » Et il m’entraîne dans la chapelle où je dois admirer les portraits de quarante membres de l’Ordre qui ont été canonisés. « Celui-ci ! celui-là ! et encore celui-là étaient des frères lais ! » Je déplore la fragilité de mes connaissances en hagiographie et m’arrache au calme reposant de la pieuse demeure, appelé par le devoir au Ministère des Relations Extérieures.

Ici, M. Ortiz y Zevallos est deux fois chez lui : comme attaché au Ministère, et comme descendant des Grands d’Espagne qui bâtirent cet édifice. La belle demeure a été restaurée et elle est entretenue avec un goût parfait. Les vieilles faïences du XVIIIe siècle ont été complétées par les fabriques de Séville qui ont la tradition des dessins et des couleurs et même ont gardé les cartons anciens ; autour du patio intérieur court une colonnade de bois rouge sombre, qui supporte des arceaux hispano-mauresques ; sous des badigeons relativement récents, on a retrouvé et mis au jour de curieuses fresques ; chaque salon, chaque bureau, a son ameublement de style colonial assorti, qui commence au XVIe siècle avec d’énormes fauteuils, siège en cuir et dossier droit, passe par le XVIIIe plus confortable, retrouve une nouvelle rigidité au commencement du XIXe, avec des aigles ou des cygnes comme support. A toutes les époques, on suit les imitations de l’Europe, Espagne ou France ; quelques beaux cabinets-coffres, de facture évidemment espagnole ; des sièges, des tables, dont les formes sont un peu alourdies ; mais ces bois précieux ainsi prodigués donnent une impression de richesse et de recherche très caractéristique. Ce luxe du bois a disparu dans les ameublements modernes : la matière première venait de l’Amazonie, par caravanes de porteurs et de lamas, mais surtout