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prudents et raisonnables, comme le général Ismet pacha, ministre des Affaires étrangères, qui sera le premier délégué de la Turquie à la Conférence et Moustapha Kémal lui-même, sont obligés de résister à la constante pression de ceux qui leur représentent que le Gouvernement d’Angora dispose d’une armée mobilisée de plus de 200 000 hommes, qui se grossit chaque jour de contingents turco-mongols accourus de l’Asie centrale, et de l’immense matériel de guerre abandonné par les Grecs ; qu’enfin l’enthousiasme de la victoire et le désir de venger les atrocités commises par les Grecs constituent une force morale dont il faut se servir pendant qu’elle est à son paroxysme ; jamais, leur dit-on, les Turcs ne retrouveront pareille occasion de réaliser toutes leurs aspirations, de rester seuls maitres dans un Etat national purement turc. Il faut bien nous rendre compte que, dans ces conditions, la résistance du Ghazi Kémal au vœu de beaucoup de ses partisans et à l’élan de ses troupes, est méritoire et qu’il est nécessaire de l’aider en hâtant l’heure d’une paix juste et définitive.

Déjà l’État-major de l’armée d’Angora a cru discerner, dans l’entourage du Sultan Méhémet VI, les traces d’une intrigue anglaise pour maintenir la dualité des pouvoirs et empêcher l’entente de s’établir entre le Gouvernement de Constantinople et celui de la Grande Assemblée d’Angora ; la double invitation pour la Conférence de Lausanne envoyée par les Alliés à la Porte d’une part, et, d’autre part, à Angora, est venue aggraver ces défiances et c’est sans doute l’origine des mesures alarmantes que vient de prendre Moustapha Kémal. En vain le grand-vizir du Sultan, Tevfik pacha, proposait de se concerter avec le Gouvernement d’Angora pour l’envoi d’une seule délégation et offrait même de reconnaître la délégation kémaliste ; la Grande Assemblée, dans une séance de nuit, le 30 octobre, discutait la déchéance du Sultan ; le 1er novembre, après un discours de Kémal, la nouvelle loi fondamentale de l’État ottoman était volée à l’unanimité. Elle est ainsi conçue en substance :

Article premier. — A partir du 16 mars 1920 et pour toujours, le Gouvernement de la Nation est remis aux mains de l’Assemblée nationale. Aucune autre forme de gouvernement ne sera reconnue et le peuple ne reconnaîtra aucune autorité personnelle telle que celle de Constantinople.

Article 2. — Le Khalifat continuera à être exercé par la famille d’Osman, mais l’Assemblée choisira un prince que les qualités morales, le talent et la conduite rendront digne de ce choix. Le Gouvernement turc sera le principal soutien du Khalifat.