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Chronique 14 novembre 1922

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

Non licet omnibus... Peu d’hommes, dans l’histoire, ont connu l’ivresse de conquérir Rome et de monter au Capitole parmi les acclamations d’une foule en délire. Victor-Emmanuel II ne pénétra dans la Rome des Papes que par la brèche de la Porta Pia ; M. Mussolini, chef des fascistes, a connu une plus complète fortune : par la volonté de Victor-Emmanuel III, toutes les portes s’ouvrirent aux sombres cohortes des « Chemises noires » lorsqu’elles s’y présentèrent en armes ; et c’est parmi les fleurs et les vivats que, le 31, elles défilèrent, à travers les rues de la Ville Éternelle, pour aller au Quirinal acclamer le Roi, dont leur idole, M. Mussolini, était devenu, depuis deux jours, le Premier ministre. On raconte que l’intention des fascistes était de se diriger ensuite sur le Vatican afin d’y solliciter la bénédiction de Pie XI ; c’est une idée qui ne serait pas venue aux « Chemises rouges » de Garibaldi, mais à laquelle, pour le bien de la Papauté, les « Chemises noires » de M. Mussolini ont été bien inspirées de renoncer.

La substitution d’un cabinet Mussolini au débile cabinet Facta n’est pas une crise ministérielle analogue à celles que connaissent périodiquement les Gouvernements constitutionnels ; c’est une révolution dont les conséquences seront considérables pour l’Italie, et qui aura des répercussions par delà les crêtes des Alpes. Deux grands faits nouveaux bouleversent en Europe les anciennes conceptions du gouvernement libéral, constitutionnel et parlementaire, c’est l’établissement et la durée, en Russie, d’une République fédérative des Soviets avec la dictature des commissaires du Peuple, et c’est le succès, en Italie, du coup d’État fasciste. Après ces deux événements, si dissemblables dans leurs origines et leurs manifestations, mais qui ont au moins ce trait de ressemblance qu’ils fondent le droit sur la force, il y a quelque chose de changé dans les notions et dans les réalités politiques. Et nous ne disons pas que ce soit un progrès !