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toit jaune est couvert de plantes et d’arbrisseaux qui semblent avoir poussé sur une colline d’or. Ce toit recouvre une salle unique, aux grandes colonnes faites chacune d’un seul arbre. Sur l’autel dégarni, un dais de bois sculpté abrite encore la tablette de l’Empereur. Pendant que je suis là j’entends un trottinement sec qui frappe les dalles, et une ânesse passe tranquillement avec son ânon. J’arrive ensuite à la dernière cour. Au delà des arbres, des herbes, un diadème de pierres rudes, crénelé comme un rempart, se détache de la montagne à l’endroit où l’enceinte rouge vient s’y terminer : au-dessus s’élève un pavillon auquel donnent accès deux rampes latérales. La terrasse sur laquelle il repose affleure la pente. Sous le toit qui se soulève bien au-dessus d’elle, une énorme stèle rose, que soutient une tortue, porte, en orgueilleux caractères, le titre posthume de l’Empereur. Aucune autre inscription ne l’accompagne. L’orgueil est si grand ici qu’il ne s’étaye d’aucun commentaire, ne se glorifie du souvenir d’aucun acte. Agir serait encore avouer que l’ordre n’était pas parfait, qu’il y avait quelque défaut dans l’harmonie de l’Empire. Les Empereurs immobiles ne conviennent que d’avoir régné. Un vaste corridor, sous le pavillon, perçant toute la masse de l’édifice, vient buter à la dernière paroi. Celle-ci ne porte plus aucun signe. Lisse, noire, muette, aveugle, elle arrête les vivants. L’Empereur seul est allé plus loin, et poursuivant son retour obscur, il a laissé retomber sur lui le voile de la montagne. Jamais le mot enterré n’a eu plus de force. Ici l’homme ne s’élance pas dans le vide, ne délire pas vers les dieux ; il ne part point, il revient, il rentre. Il ne s’enferme pas dans un de ces sépulcres qui isolent le cadavre et dont on peut faire le tour. Les constructions funéraires annoncent la tombe, sans la détenir. Après les salles d’apparat, la dernière muraille s arme et se fortifie tout à coup, pour interdire le seuil suprême et couvrir la retraite de l’Empereur mort. Tout aboutit à une pente qui n’avoue plus rien et où le vent, comme ailleurs, bégaye entre les feuilles des chênes.


ABEL BONNARD.