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ses sursauts, je voyais sortir de l’ombre ou s’y abîmer le sourire ineffable du Bouddha doré.

Un prêtre était demeuré devant l’autel : la tête appuyée aux pieds de la statue géante, il psalmodiait doucement, d’une voix peut-être machinale et qui pourtant m’a ému. Toute prière est chargée de plus de peines qu’elle ne croit : c’est toujours la plainte humaine. A la fin, il s’est retourné, a souri en m’apercevant, et nous sommes revenus de compagnie à la pièce où les autres bonzes accueillaient mes amis : ils avaient déjà apporté du thé, des graines de citrouille et de frugales petites pralines qui avaient un goût de fleurs sèches. Soudain l’un d’eux s’est esquivé, et, reparaissant bientôt après, il m’a présenté, d’un air tout heureux, trois pupitres de santal, comme ceux qui m’avaient plu dans une visite précédente, qu’il avait fait faire pour me les offrir. Tandis qu’un de mes compagnons remerciait les moines en mon nom, je regardais, à la faible lueur d’une lampe, leurs figures maigres d’une douceur un peu moutonnière, j’aurais voulu savoir leur parler. En partant, j’ai essayé de leur faire recevoir quelque argent, mais j’ai eu beau insister, et mon ami prononcer toutes les phrases convenables, ils se sont défendus, avec des rires et des gentillesses d’enfants, de rien accepter. Ce sont des âmes innocentes et, peut-être, presque nulles, auxquelles aboutit pourtant une doctrine sublime. J’ai pensé à eux tout en revenant, et c’est ainsi que j’ai écrit les quelques lignes suivantes qui sont, autant que me le permet mon ignorance, dans le goût des anciens poèmes chinois :

Le voyageur va repartir. Déjà les désirs le disputent aux regrets.

Les bonzes sont debout pour un dernier salut. Il ne les verra jamais plus. Dehors, le grand sophora brouille la lune dans ses branches.

Quoique rien ne le recommandât et qu’on puisse légitimement se défier des hommes d’Occident, ils lui ont fait bon accueil.

Il ne sait pas leur langage, n’est pas de leur race, et n’a pas leur foi, et pourtant ils sont amis.

Les mondes séparés ne joindront jamais leurs jardins fleuris, leurs forêts profondes. Mais ils s’envoient leurs parfums, qui se mêlent sur la mer.