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moments mêmes où ils paraissaient le mieux traités, les Empereurs, avec l’astuce et l’adresse des Asiatiques à dégrader insensiblement les Européens qui les servent, ne s’entendaient que trop bien à les humilier, et ces vexations revêtaient toutes les formes. Cela se vit surtout sous le règne de Kien-Long. Le frère Attiret, né dans une famille de peintres, peintre lui-même et plein d’amour pour son art, avait présenté à l’Empereur quelques tableaux qui n’avaient pas déplu. Mais le souverain lui fit entendre que, s’il voulait que ses ouvrages fussent vraiment agréés, il fallait qu’il se défit des principes qu’il avait suivis jusqu’alors, pour se mettre à l’école des peintres chinois. Ainsi, par un effort plus cruel que de renoncer à son art, le frère dut continuer à le pratiquer en dépit de ses goûts, de sa doctrine, de son idéal. Il se soumit néanmoins et peignit à la chinoise.


DERNIÈRE VISITE

Il est agréable de voyager, non de repartir : car il faut briser mille petites amitiés qu’on avait nouées avec les lieux et les choses, mille liens ténus qu’on ne sent qu’au moment de les rompre. Rien n’est alors si important que l’endroit où l’on va prendre une dernière vue du monde qu’on va quitter, et accomplir la cérémonie de l’adieu. Comme suspendu au-dessus de tous les aspects de la ville, auquel voudrais-je consacrer ma visite suprême ? Irais-je revoir l’ordre solennel de la Cité impériale, admirer encore une fois la pureté froide du Temple du ciel ? Retournerais-je dans les jardins rabougris du Palais d’été ? J’ai fait un choix moins insigne. Je suis revenu au petit temple bouddhique du Jardin de la Loi, peut-être parce que c’est ici le seul endroit où j’aie senti de la douceur. Il était près de huit heures du soir quand nous l’avons retrouvé dans son écheveau de rues. Il était pacifiquement ouvert comme d’habitude et rempli d’une ombre tranquille. Le premier bonze que nous avons rencontré dans la cour nous a reconnus malgré l’obscurité, il est allé chercher ses compagnons, qui se sont excusés de l’absence des principaux, retenus à une cérémonie funéraire. Tandis qu’ils nous emmenaient, j’ai quitté leur groupe pour aller jusqu’à une salle où résonnait encore un gong argentin. Un petit office venait d’y finir. Une seule lampe brûlait et, selon