Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maintenue dans toutes les circonstances, elle peut prendre quelque chose d’héroïque ; dans le train ordinaire de la vie, c’est comme une poudre d’or semée sur les jours. Il me souvient d’une nuit en chemin de fer, au Japon, où j’avais en face de moi une famille de trois personnes, le père, la mère et une jeune fille, chacun de cette propreté que tous semblent, là-bas, garder aisément. Ils ne parlaient presque jamais sans se sourire, de ce fin sourire où ce n’est pas l’âme qui déborde, mais où tout l’être vient attester qu’il se commande et qu’il est prêt à se contraindre en faveur d’autrui.

Après avoir dîné au wagon-restaurant, quand ils revinrent à leur place, la jeune fille, à genoux sur la banquette, conversa quelque temps avec sa mère, puis, après lui avoir fait plusieurs révérences, se prépara au sommeil. Elle s’arrangea correctement, posa sur un coussinet son chignon lisse et massif, pareil à un noir coquillage.

Le lendemain, à l’aurore, comme le train s’arrêtait dans une petite gare rustique, toute trempée d’humides verdures, en me dégageant péniblement du sommeil, je revis mes compagnons. Le père et la mère, aussi nets que la veille, plaisantaient déjà ensemble. La jeune fille s’éveillait dans la même attitude où elle s’était endormie, et les fleurs, dehors, ne pouvaient pas s’ouvrir d’une façon plus fraîche et plus simple que ne firent ses deux yeux. Je ne saurais rendre le charme qu’avait ce retour à la vie immédiatement irréprochable et correct.

J’eus honte, en comparaison, de ma maussaderie de Barbare. Elle salua ses parents de plusieurs inclinations respectueuses, auxquelles ils répondirent par d’affables signes de tête, et le papillon du sourire recommença à voltiger d’une bouche à l’autre.

Le spectacle que me présentaient ces bonnes gens était si joli que je ne pouvais imaginer qu’ils en usassent ainsi tous les jours. Il me semblait que je les surprenais dans un dimanche de leur existence. Je savais pourtant qu’il n’en était rien, et que cette fête aisée, attentive et savante, c’était leur vie ordinaire.

La politesse chinoise était un peu différente : on sent que celle du Japon descend dans le peuple tout entier des hauteurs d’une aristocratie féodale, toujours en éveil sur le point d’honneur : derrière elle il y a des sabres, des combats, des ventres