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Paris ressemblait à une ville prise d’assaut. Son aspect était morne et sévère. Peu de mouvement dans les rues, beaucoup d’hommes mal habillés, groupés sur différents points ; point de femmes élégantes, de voitures, de boutiques ouvertes ; mais des convois funèbres, des femmes occupées à faire de la charpie, des corps de garde improvisés à tous les coins de rues, des vitres et des réverbères brisés, des murs couverts de proclamations appelant le peuple aux armes, et des ordonnances à cheval se rendant dans toutes les directions. Ce spectacle triste et saisissant, attestait combien l’orage révolutionnaire avait dû être brûlant. Presque toutes les barrières et les corps de garde de la garnison furent incendiés. Beaucoup d’objets d’art furent mutilés, brisés, volés, dans les galeries du Louvre et les appartements du château ; le musée d’artillerie, l’archevêché, la cathédrale furent aussi dévastés et saccagés. Assez généralement les vainqueurs donnèrent des preuves de générosité, d’humanité et de désintéressement. Mais aussi il s’en trouva qui égorgèrent sans pitié des hommes désarmés, qui les jetèrent vivants dans la Seine, qui les tuèrent par derrière. Quatre hommes du régiment, un capitaine de la garde royale, de mes amis, avec qui j’avais diné le dimanche 23, des gardes royaux, des Suisses, des gendarmes, éprouvèrent ce sort. La perte totale du régiment fut de 1 capitaine, 1 lieutenant et 16 sous-officiers et soldats tués ; 4 officiers et 39 sous-officiers et chasseurs blessés. Le régiment fut un de ceux qui se conduisirent avec le plus de prudence, qui tira le moins et qui a été cependant signalé par la presse libérale comme un parricide et un ennemi de la liberté.

A mon retour de l’Hôtel de Ville, j’appris que deux de nos officiers (un capitaine criblé de dettes, et le porte-drapeau, homme fort taré, tous deux les obligés du colonel) qui avaient quille la veille dans le bois de Boulogne leurs camarades et leur drapeau, s’étaient présentés à l’Hôtel de Ville, pour offrir leurs services au Gouvernement provisoire, et faire parade d’un dévouement patriotique dont ils ne se doutaient pas deux jours auparavant. A force de calomnies et de mensonges, ils parvinrent à faire croire au général Dubourg que, s’il leur donnait pleins pouvoirs, ils organiseraient un bataillon modèle et sûr, ce qui ne serait pas si on le laissait entre les mains des officiers actuels, tous animés, surtout son chef (c’était moi), d’un très mauvais esprit. Ils obtinrent sans difficulté les pleins