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ce dont, du reste, je me félicitai, pouvant me diriger d’après mes propres inspirations.

J’étais seul en armes dans toute cette partie de Paris. Excepté la place du Panthéon et quelques dépôts de régiments bien barricadés dans leurs casernes, le peuple était maître de toute la rive gauche de la Seine. C’était dans le Paris de la rive droite que se livrait la bataille. Tous les postes, qu’on avait eu la sottise de ne pas faire rentrer dans leurs corps, avaient été, dès le matin, enlevés, désarmés, massacrés. La poudrière des Deux-Moulins était prise, les dépôts d’armes des mairies pillés, en sorte que la rébellion avait acquis dans la soirée une supériorité incontestable sur les défenseurs d’un trône qui était irrévocablement perdu à l’entrée de la nuit.

Vers 10 heures, j’appris par des hommes sur desquels je pouvais compter qu’on devait tenter un coup de main sur ma caserne, pour enlever les armes et la poudre qui s’y trouvaient ; que les troupes stationnées dans l’intérieur devaient se retirer sur les Tuileries quand l’émeute ne gronderait plus autant. Tout paraissait assez calme devant moi et autour de moi. Les scènes affligeantes de la journée étaient terminées, mais ce pouvait bien être un calme trompeur, précurseur d’un orage qui pouvait fondre sur moi d’un instant à l’autre. Des barricades formidables s’élevaient entre la place et ma caserne, et dans toutes les rues qui conduisaient sur le boulevard extérieur. Ma présence sur cette place devenant inutile, je me décidai, d’après tout ce que j’apprenais, à sortir au plus vite de cette souricière, et à me retirer dans mes casernes de Mouffetard et de Lourcine, soit pour veiller à leur conservation, soit pour y attendre la fin des événements.

Avant de commencer mon mouvement de retraite, j’envoyai occuper les principaux débouchés des rues où je devais passer et faire suspendre la construction des barricades, pour effectuer en ordre cette évacuation volontaire. Je laissai, pour la garde de la prison militaire de Montaigne, ma compagnie et une section de voltigeurs. Tout s’opéra dans le plus profond silence, et avec la régularité d’une marche en retraite. Nous fûmes partout respectés et même favorablement accueillis sur notre passage. Les habitants de ces quartiers, moins agités que dans le centre de Paris, étaient intéressés à nous ménager ; il n’y avait que les exaltés, les forçats libérés dont le faubourg Saint-Marceau