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de faire usage de mes armes. J’étais souvent écouté, mais souvent aussi il fallait marcher sur eux la baïonnette croisée pour les obliger à laisser la place libre.

A tout instant, des orateurs de carrefour, des mandataires du peuple, se présentaient pour me parler, pour haranguer de loin mes troupes qui riaient de leur tournure grotesque, et de l’originalité de leur langage qui ressemblait fort à celui de leur prédécesseur, le sans-culotte Père Duchesne, de sanglante mémoire. D’autres fois c’étaient les chefs des attroupements de passage, qui désiraient connaître mes opinions, mes sentiments, qui venaient me tâter pour tâcher de m’entrainer dans leur rébellion. Beaucoup d’entre eux, c’étaient les mieux élevés, me priaient de ne pas faire couler le sang français, le sang de mes concitoyens et de mes subordonnés, et autres propos aussi sages qu’humains, mais qui souvent aussi étaient dépourvus de sens commun. Je leur répondais, chaque fois, que bien positivement je ne commencerais pas, mais que je me défendrais vigoureusement si l’on m’attaquait ; que je voulais avoir la place entièrement à ma disposition, et que, quoi que l’on fit, je n’abandonnerais jamais mon poste, qu’au besoin je me réfugierais dans l’église et m’y retrancherais de manière à braver tous les efforts de l’émeute. Plusieurs fois je fus menacé personnellement, j’eus des pistolets ou des poignards sur la poitrine pour m’intimider, mais ces violences ne m’en imposaient pas. Je répondais tranquillement qu’on pouvait me tuer, mais que j’avais derrière moi des vengeurs qui sauraient bien faire repentir les assassins. Les hommes sensés se retiraient en criant : « Vive le commandant ! » les fougueux, les ultra-révolutionnaires avec colère et menaces. Ces scènes populaires et démagogiques se renouvelaient à chaque instant : à toute minute j’étais obligé de me porter en avant de ces bandes, presque toujours hideuses, pour les empêcher d’approcher mes soldats, et pour entendre leurs harangues. Il fallait y répondre, souvent les ménager, pour ne pas voir arriver le malheur que je voulais éviter, même au risque de me compromettre aux yeux du pouvoir.

Ma position déjà délicate s’aggravait par le voisinage de la prison militaire de Montaigne, où 400 bandits étaient en pleine insurrection depuis le matin, pour s’évader et se joindre à l’émeute parisienne. J’avais détaché 100 hommes pour les contenir.