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que je pressentisse déjà la majeure partie des sinistres événements qui allaient suivre. Le colonel me dit en se retirant : « Il y aura aujourd’hui du bruit dans Paris. Demain on tirera des coups de fusil pour protester contre ce coup d’Etat et le faire avorter s’il est possible. »

Je sortis pour tâcher de lire le Moniteur ; je ne pus y parvenir ; on se l’arrachait, on faisait queue dans les cabinets pour l’avoir à son tour. Des groupes nombreux dans les rues causaient avec animation, les places se remplissaient de jeunes gens qui parlaient haut et se concertaient déjà pour résister à la tyrannie menaçante. Les figures étaient tristes, concentrées ; une grande agitation se manifestait chez tous les individus qui s’abordaient. Après avoir longtemps parcouru divers quartiers de Paris pour étudier l’opinion publique, et être sorti de diner, je fus me promener dans le jardin du Luxembourg. L’affluence y était beaucoup plus grande que de coutume. L’événement du jour faisait le sujet de toutes les conversations. J’entendis des prêtres qui disaient, en parlant de Charles X : « Le voilà donc maître, roi absolu ! Dieu l’a inspiré ! » Les insensés ! J’étais indigné, je me retirai de bonne heure, le cœur navré et livré à de bien pénibles réflexions.


LES TROIS GLORIEUSES


27 JUILLET

A mon réveil, j’appris qu’il y avait eu le soir au Palais-Royal et dans les rues environnantes un grand tumulte et des attroupements très considérables : on préludait. A trois heures et demie du matin, je montai à cheval, pour me rendre au Champ de Mars, où le régiment devait s’exercer pour son instruction ordinaire.

Au premier repos, le colonel réunit les officiers autour de lui pour leur parler de ce qui préoccupait si vivement les esprits. Il leur, dit qu’il serait dans les choses possibles que le régiment fût appelé à prendre les armes dans la journée, pour maintenir l’ordre là où il serait envoyé et dissiper les attroupements. « Si cela arrive, je recommande à tout le monde, chefs et soldats, beaucoup de prudence, du sang-froid, et de l’indifférence pour les provocations, injures et menaces qui pourraient vous être faites. Ne prenez en aucun cas l’initiative, attendez l’attaque