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loge. Je m’y suis rencontré avec un jeune Russe, un capitaine aux grenadiers à cheval de la garde royale du nom de d’Espinay Saint-Luc et quelques autres personnes. On vint à parler du passage des Balkans par les Russes et de leur marche triomphale sur Constantinople. Le jeune Russe, plein d’enthousiasme, célébrait avec chaleur la bravoure de ses compatriotes. Le capitaine défendait les Turcs et déplorait amèrement la triste position où allait-se trouver le sultan Mahmoud. On lui demanda à la fin quel intérêt il pouvait porter à ce monarque, pour le plaindre si vivement. Il répondit, les larmes aux yeux : « Mahmoud est mon cousin germain. Sa mère et la mienne étaient sœurs. » Après cette extraordinaire confidence, qui nous surprit tous, on se tut.

En effet, la mère du sultan était une demoiselle d’Espinay Saint-Luc. Elle avait été prise par des corsaires algériens vers 1786, étant âgée de trois ans.

31 août. — Je vais au théâtre de l’Opéra-Comique, salle Ventadour, nouvellement construit et que je ne connaissais pas encore. Une salle superbe. On jouait la Dame Blanche et Marie, opéras que j’avais déjà vus en province, mais que j’entendis de nouveau avec plaisir. Ce fut la dernière fois que je fus au spectacle ; je n’eus plus envie plus tard d’y retourner, ni de prendre aucun autre plaisir ni distraction de ce genre.

C’est à cette époque que Barrès va éprouver la plus grande douleur de sa vie : sa femme qui, après sa cure de Plombières, était venue le rejoindre à Paris, subit mie grave opération, pratiquée le 4 octobre par le docteur Piollet, sur les conseils de Dupuytren. La légère amélioration qui suivit permit un instant d’espérer la guérison. Barrès put reprendre son service.


DANS LA PLAINE DE GRENELLE

C’est ainsi que j’eus l’occasion de me trouver à la répétition de la grande manœuvre que, dans la plaine de Grenelle les troupes de la garnison et des environs de Paris devaient exécuter le 27 octobre, devant le Roi.

Toute la troupe de ligne était placée en première ligne, l’infanterie de la garde en deuxième ligne. Toute la cavalerie, ligne et garde, était aussi sur deux lignes derrière l’infanterie. Enfin la belle artillerie de la garde était sur les flancs, dans les