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assez ostensiblement pour qu’on connût d’avance mes projets. » Au Puy, où il arrive le 5 décembre 1815, un incident se produit. Quelques officiers, à l’hôtel, proposent de boire à la santé du Roi. Soupçonné de n’avoir pas répondu à cette invite avec assez d’empressement, Barrès est dénoncé an colonel, puis au général, puis au préfet qui décident de le maintenir dans la légion, mais de le réprimander. « Il fallait alors, écrit-il, être chaud royaliste, chaud jusqu’à l’extravagance. »

Mes fonctions de commandant de place m’assujettissaient à bien des occupations puériles, à des courses de nuit, à des enquêtes préparatoires, à des appels fréquents chez le général et le préfet. Ces messieurs voyaient partout des complots, des conspirations, des boutons à l’aigle, des cocardes tricolores, des signes de rébellion. C’était à qui montrerait le plus de zèle et de dévouement pour la bonne cause. Un dimanche du mois de juillet 1816, le préfet, pour célébrer l’anniversaire de la rentrée des Bourbons à Paris, fit apporter, sur la plus grande place du Puy, tout le papier timbré à l’effigie impériale, les sceaux des communes de la République et de l’Empire, et un magnifique buste colossal en marbre blanc d’Italie de l’empereur Napoléon, chef-d’œuvre du célèbre statuaire Julien, qui l’avait offert lui-même à ses ingrats et barbares compatriotes. Tout cela fut brûlé, mutilé, brisé en présence de la troupe et de la garde nationale sous les armes, des autorités civiles, militaires, judiciaires, au bruit du canon, aux cris sauvages de « Vive le Roi ! » Cet acte de vandalisme me brisa le cœur.

Le 15 avril 1816, nous reçûmes l’ordre de partir pour Besançon. Ce fut comique. Le général Romeuf nous accompagna pour surveiller notre marche. La gendarmerie nous suivait derrière pour empêcher la désertion des soldats. A Yssingeaux, le comte de Moidière, notre lieutenant-colonel, proposa sérieusement aux commandants de compagnies de prendre aux soldats leur culotte pour les empêcher de partir la nuit, et de la leur rapporter le lendemain matin pour le départi En vérité, tous ces gens-là avaient perdu la tête.

A notre arrivée à Besançon, nous vîmes les inspecteurs généraux chargés d’achever notre organisation. L’un d’eux était un général allemand, passé au service de la France, le prince de Hohenlohe ! Leur première opération fut de désigner la moitié des officiers de tous grades pour aller en semestre forcé. Je fus