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par ses parents à Langres, siège du diocèse. Là il a reçu des mains de l’évêque, ami de sa famille, Sébastien Zamet, la tonsure. Sébastien Zamet est un évêque réformateur [1], qui, dès 1616, s’est attelé avec courage, qui, en 1622, en 1628, met la main, de nouveau, publiquement, à cette purification morale du clergé que les bons catholiques rêvent depuis si longtemps et qui tarde. Ses instructions ont-elles fait sur le fils de Bénigne Bossuet un effet que vraisemblablement elles ne produisaient pas sur le père ? Cette cérémonie, en laquelle peut-être ses parents ne voient qu’une précaution d’avenir, une « inscription » prise de bonne heure, afin d’être « capable, » le cas échéant, d’obtenir un de ces « bénéfices » tant guignés, l’enfant y a-t-il vu, y a-t-il ressenti autre chose ? A-t-il été convaincu par le pasteur du diocèse que cette cérémonie annonciatrice, cette « préparation aux Ordres » l’engage et l’oblige ? Dans le Manuel des Retraites suivant l’esprit [2] de ce saint Vincent de Paul qui devait exercer plus tard tant d’influence sur Bossuet, un saint prêtre expose à ses confrères que « la tonsure fait de nous comme des Nazaréens du Seigneur, comme des hommes séparés de la foule, » triés de la masse, obligés à penser uniquement aux choses éternelles. Est-ce de cela qu’il est pénétré, et lorsque, maintenant, « les cheveux courts, » symbole de renoncement aux vanités du monde, « la couronne sur la tête » qui indique « non seulement la royauté du sacerdoce, mais l’empire que les ecclésiastiques doivent avoir sur leurs passions, » quand ainsi marqué par le ciel, il sort « en soutane » dans les rues et assiste « en surplis » aux offices de la paroisse, se dit-il que le voilà entré en un chemin que prirent assez rarement ses ancêtres ? Et sa conscience naissante est-elle intimidée et hantée de ce devoir de transfiguration, impliquée et à lui imposée par la volonté de ses parents, et qu’il accepte, qu’il aille « servir Dieu » dans le troupeau élu des lévites [3] ?

  1. L’abbé Prunel, Sébastien Zamet, pp. 103-104 ; Bossuet, Second catéchisme de Meaux, 5e partie, leçon II.
  2. Manuel des Retraites suivant l’esprit de saint Vincent de Paul, par un prêtre de la Congrégation de la Mission, d’après le livre de méditations de Busæus, traduit par M. Portal, prêtre de la Mission.
  3. Ses supérieurs du collège des Godrans ont bien pu contribuer aussi à mettre en lui une haute idée de la « vocation. » Le P. Chérot a fait connaître leurs noms. Bossuet eut entre autres pour préfets des études, les PP. Mugnier et Le Grand. Or je note que le P. Mugnier publia en 1647 » la Véritable politique du Prince chrétien à l’usage des sages du monde, » et le P. Etienne Le Grand, en 1651, la première partie (L’Enfance et l’Éducation) d’une assez longue Vie de ce saint Bernard dont Bossuet a si bien compris les mystiques élans juvéniles.