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Ce furent des scènes antiques, les femmes montées aux créneaux versant l’huile bouillante ; et l’on tint neuf jours, jusqu’à ce qu’une crue de la Saône et du Doubs et l’approche de Rantzau et Turenne sauvassent la petite ville, — « Carthage du siècle, » à qui le Roi accordait, quelques mois après, une faveur unique. : l’exemption de toutes charges. Deux membres au moins de la famille Bossuet faisaient partie de la troupe épique, sans compter tous ceux des cousins, petits-cousins, alliés, amis probables, dont on peut reconnaître les noms dans les listes conservées des héros ou des assiégés [1].

Et certes, de ces derniers événements, il est malaisé de supposer que Jacques Bénigne n’ait pas vu d’abord, étant alors âgé de neuf ans, le côté dijonnais ; ne fût-ce que le transport à Saint-Bénigne de Dijon de la statue miraculeuse de Notre-Dame d’Etang, alors que les Dijonnais se préparaient à la résistance. Mais le récit, au moins, de ces heures tragiques ne lui fut-il pas fait, très tôt, par des voix encore émues, par de braves gens qui avaient connu, après les angoisses de l’anarchie ou de l’invasion, le soulagement de l’ordre rétabli et de la victoire ? Or, ni ses lettres, ni ses sermons n’offrent aucune allusion à ces choses. Il y a plus. Quarante ans plus tard, précepteur du Dauphin, une besogne lui incombe qui lui offrait l’occasion la plus naturelle d’en parler. Il raconte au jeune prince avec beaucoup de détails et de précisions le règne de son aïeul Louis XIII. Qu’il n’insiste pas sur la sédition de 1630, à la rigueur, cela s’explique. Mais sur les faits de guerre, même malheureux pour les armées du Roi, des années 1635-1636, — les notes résumées de son cours tiennent deux ou trois pages [2]. Pas un mot sur la Belle Défense de Saint-Jean Je Losne. Cet illustre épisode de l’histoire de sa province, si quarante ans après il l’oublie, ou s’il le relègue parmi les faits secondaires et négligeables du règne, c’est qu’il ne l’a pas vécu au lendemain et sur les lieux mêmes. N’est-ce donc pas aussi qu’alors son esprit était ailleurs ?

Et qu’est-ce qui, possiblement, occupait en ce temps sa jeune âme ? Vers la fin de l’année précédente, 1633, il a été conduit

  1. L’abbé Thomas, le Livre d’or de la Belle Défense de Saint-Jean de Losne en 1636. Dijon. 1892 ; la Belle Défense de Saint-Jean de Losne. Dijon, 1886, et Rossignol. Mémoires de l’Académie des Sciences de Dijon, 1845-1846, Dijon, 1898.
  2. Voir Œuvres, de Bossuet, éd. Guillaume, t. VIII, p. 334-335, texte confirmé par les manuscrits (Rédactions d’histoire du Dauphin avec corrections de Bossuet), Bibliothèque Nationale, mss. fr. 12836, f° 1130-1132.)