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Or l’on voit en quoi ce curriculum vitae, très plein, très varié, explique des appréciations sévères, découvertes par les érudits récents, de ses confrères ou supérieurs. De Charles Colbert en particulier : « Ce Bossuet, écrit-il, est sans doute, au demeurant, homme d’honneur et de bon sens, » mais « je crois qu’il ne s’est pas fort adonné à sa profession, qu’il aime l’oisiveté, et qu’il se laisse gouverner par le sieur Jean Favier. » Ce Favier, lieutenant-général au bailliage et siège présidial de Toul, et, surtout, maitre des requêtes ordinaires de la Reine, était le gros personnage auquel Bénigne était adjoint en Alsace. Charles Colbert se plaint aussi que Bénigne approuve tout par devant, mais blâme tout par derrière. Des notes anonymes trouvées dans les papiers du grand Colbert disent un peu les mêmes choses : « Néglige les affaires pour recevoir et rendre des visites ; » « fort flatteur et complaisant ; » « fait ce qu’il peut pour gagner les bonnes grâces des personnes puissantes et de crédit. » « Homme assez droit, » avoue une autre fiche, mais « pas grand génie, » « fort courtisan. » En somme, on l’aperçoit, ce père de Bossuet : c’est l’ambitieux de petite volée, minutieux ouvrier de sa modique « fortune ; » collectionneur attentif de relations utiles, ingénieux à se pousser et placer, juste à point, lui et les siens, au bon endroit qui s’ouvre ; et, dans ce souci d’« arriver, » plus confiant en son entregent qu’en son labeur. C’est le parvenu sans supériorité, mais sans scandale : l’honnête homme habile, et assez habile pour qu’on le croie capable de n’avoir pas tout obtenu de son honnêteté. Ajoutons que cet esprit, souple et avisé, qu’il est par nature, il l’est au maximum, probablement, à l’époque où Bossuet vit avec lui au foyer de Dijon encore subsistant. Dans ses quarante-cinq ans d’alors bat son plein cette industrie empressée et subtile : c’est la maturité d’un de ces « poursuivants » de la fortune, dont Bossuet parlera plus tard, si accoutumés à « prétendre, » si convaincus du besoin, du devoir, qu’on a de « prétendre » toujours, qu’on peut croire qu’ils « prétendront » jusqu’à leur dernier soupir.

Quant aux cinq frères de Bossuet, dont deux moururent de très bonne heure, du plus jeune, Gilles François, cadet de Jacques Bénigne, on ne sait rien, sinon qu’il fut receveur