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répondre aux provocations des cléricaux, ma présence ne devint un prétexte à des manifestations ou plutôt à des cancans. Il est probable que nous ferons seulement, ma femme et moi, une promenade à Milan, à Venise, à Florence.

Que Votre Altesse me permette de nouveau de la remercier des bonnes heures qui se sont écoulées pour moi à Prangins, et de lui présenter l’expression du profond respect avec lequel je suis

Son bien dévoué serviteur.

E. RENAN.


Sèvres. 4 octobre 1871.

Monseigneur,

Aujourd’hui mon éditeur, sur mon ordre, a dû vous expédier les épreuves du travail dont je m’étais permis de parler à Votre Altesse. Je ne réclame pour ce travail d’autre mérite que celui de la sincérité, et d’une grande absence de parti pris. L’élévation d’esprit de Votre Altesse, qui la met si fort au-dessus des illusions du vulgaire, saura me rendre cette justice, qu’aucun parti probablement ne me rendra. Le train de ce monde n’est conduit que par la foi et les convictions absolues ; mais après tant de déceptions, comment l’homme réfléchi ne céderait-il pas par moments au doute et à l’hésitation ?

Je ne voudrais jamais contribuer, ni peu, ni beaucoup, à faire manquer l’expérience de la République ; je reconnais même qu’à quelques égards l’état d’extrême affaiblissement où est la France est une des conditions les meilleures pour l’établissement de ce Gouvernement ; mais qu’un tel régime ne puisse aboutir qu’a une décadence de plus en plus prononcée, à l’inverse en un mot de ce que doit faire un peuple qui veut se réformer et prendre sa revanche, c’est ce que je vois bien clairement. Que fera le pays ? Je crains qu’il ne s’enfonce de plus en plus dans son indécision, qu’il n’ose rien faire de caractérisé. C’est un enfant à qui on demande de résoudre les questions qui tiennent en suspens les meilleurs esprits. Les parties naïves de la nation, guidées par un instinct dynastique qui a sa légitimité, sont peut-être les mieux inspirées ; mais, là même, l’effroyable désastre de Sedan a imprimé de profondes traces. Il est donc probable que les élections des conseils généraux, qui auraient pu avoir tant d’importance, seront insignifiantes et contradictoires comme résultat. Comment un pays qui n’a que des aspirations