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Le régime était épouvantable dans les lieux de détention de la « Tchrézvytchaïka, » mais on a tant écrit à ce sujet, que je n’en parlerai pas en détail. Il suffit de dire que nous étions, en vérité, traités comme du bétail... ou bien pis encore... On pouvait à peine respirer, par cette chaleur, dans ces petites chambres à plafond bas, où les prisonniers étaient entassés les uns sur les autres. Nous dormions côte à côte sur des planches, ou sur le plancher, serrés les uns contre les autres comme des harengs. Je tâchai de m’établir pour la nuit entre des gens qui m’inspiraient quelque confiance sous le rapport de la propreté et de l’absence d’odeurs naturelles. Mon choix tomba sur un docteur de la « Marino-Blagovéshchenskaïa-Obshtchina » (Communauté de l’Annonciation de la Croix Rouge) à Kiev, et un colonel polonais. Nous dormions couchés sur le même côté, les genoux de l’un rentrant dans les genoux de l’autre, comme dans un jeu de « puzzle, » nous retournant en même temps. Si l’on essayait de dormir sur le dos, sans bouger, cela faisait gonfler les pieds et causait des douleurs insupportables.

Nous avions la permission de sortir deux fois par jour, dans un petit enclos de trois archines de large et vingt-quatre archines de long. Trois cents personnes s’efforçaient de se « promener » dans cet espace, pour se détendre un peu les jambes. Les gardes de la « Section spéciale » étaient tous méchants et bourrus. Ils se plantaient le soir sous notre porte qui était laissée ouverte pour la nuit, et nous empêchaient de dormir, chantant, sifflant, braillant, invectivant les « bourjouïs » qui « buvaient le sang du peuple » et qu’il fallait, disaient-ils, fusiller et exterminer de toutes les façons.

Le lendemain de mon arrestation, je fus appelée pour un nouvel interrogatoire. Je fus menée entre deux soldats au G. Q. de la « Vé-Tché-Ka, » situé à la Ekaterinenskaïa, dans l’ex-maison de Mme Ouvaroff, devant la « Présidente » de la « Tchrézytchaïka, » la camarade Egorova. Une femme d’environ trente-cinq ans, de taille moyenne, d’une mise élégante, s’avança à ma rencontre ; ses yeux gris me souriaient, et, malgré ses cheveux courts, l’impression générale n’était pas celle d’une communiste, mais d’une femme bonne et sensible, et parfaitement bien élevée. Elle m’offrit fort aimablement un siège, et commença à m’interroger, d’une manière nette, claire et sensée, inscrivant toutes mes réponses. Lorsque l’interrogatoire fut