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n’avais qu’à moitié conscience de tout ce qui m’arrivait. Je compris soudain à ce moment, qu’on allait me priver de ma liberté, m’isoler du reste de l’univers… et un sentiment de détresse s’empara de moi. Je n’avais plus qu’un seul désir et un seul espoir, celui de voir mon fils libéré. C’est pour lui que je souffrais. Moi, j’avais vécu ; des jours d’épreuve et de torture étaient venus, mais il y avait de la joie et du soleil derrière moi. Mais mon fils, lui, un adolescent, qu’avait-il fait pour mériter un pareil sort ? Je ne pouvais m’habituer à cet idée. Ma haine et mon mépris pour ceux qui faisaient tant de mal sur la terre, n’avaient plus de bornes. Je crois fermement en Dieu et au Christ ; je n’ai point perdu cette foi au milieu de mes plus dures épreuves. J’avoue cependant, que quelques-uns des dogmes du christianisme dépassent ma faible compréhension humaine. Pourrai-je jamais, par exemple, pardonner aux bolchévistes, qui furent, et sont encore, de si terribles ennemis, non seulement pour moi, mais pour ma patrie ? Je ne puis et ne veux leur pardonner, et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour les détruire, car je considère qu’il est du devoir de chaque vrai chrétien de le faire. Des gens de cette espèce ne sauraient changer ni être réformés et doivent être exterminés comme la peste.

Plongée dans les réflexions les plus sombres, je suivis les deux escortes armées dans une petite cour, puis dans une seconde cour, entourée d’une haute grille ; nous entrâmes dans une petite maison de bois dilapidée. C’était la fameuse « Section spéciale » de la « Vé-Tché-Ka, » où des dizaines et des centaines de milliers de personnes, victimes de cette inlassable et continuelle « Terreur rouge, » étaient amenées et parquées comme du bétail dans l’attente de leur sort. Il y avait quatre chambres en tout : l’une plus grande et les trois autres tout à fait petites, — de 10-8 archines carrés, — mais on parvenait à y entasser jusqu’à trois cents malheureux qu’on y enfermait.

Il était minuit passé lorsque je fus introduite dans la première de ces chambres, relativement vide à ce moment : il y avait à peu près dix personnes, hommes et femmes, endormis. Mes deux gardes se retirèrent, me laissant debout devant la porte, abasourdie et stupéfiée. J’éprouvai un vertige : je ne parvenais pas à me figurer que j’étais destinée à vivre ici, dans ce local dégoûtant, dans cette atmosphère Suffocante et moisis. Il