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Votre Altesse, sans se croire obligée de la suivre, a quelquefois pris plaisir à l’écouter. Elle sait, en tout cas, avec quels sentiments de respect je suis

Son très affectueusement dévoué,

E. RENAN.


Paris, 19 décembre 1886, au Collège de France.

Monseigneur,

J’allais écrire à Votre Altesse pour me rappeler à son souvenir, quand la princesse Mathilde m’a dit que Votre Altesse désirait l’indication d’une personne qui pût l’aider dans le travail préparatoire de ses Mémoires. Ai-je besoin de vous dire, Monseigneur, avec quelle joie j’ai accueilli l’annonce d’une œuvre qui sera, j’en suis sûr, lumineuse pour l’histoire du XIXe siècle, et léguera à l’avenir l’image complète de votre rare esprit.

J’ai cherché, dans le cercle de mes connaissances, le jeune homme qui pourrait vous être le plus utile. C’est, je crois, un M. Henri Bachellier, âgé d’environ vingt-huit ans, originaire de Nantes. Son histoire est singulière. Engagé dans la prêtrise par les idées dominantes de son pays, il a rempli les fonctions d’aumônier de la princesse Gisèle, et a longtemps vécu dans l’entourage de la Maison royale de Bavière. Ses relations avec Dœllinger et l’atmosphère relativement libre qu’on respire dans le catholicisme de l’Allemagne du Sud, lui ont rendu insupportable l’esprit de notre clergé, surtout dans les provinces de l’Ouest. Il a tout à fait rompu avec son ancien état. C’est un homme très bien élevé, d’un esprit cultivé, écrivant bien en français, sachant parfaitement l’allemand. Je le crois très honnête. Son ignorance totale du monde parisien, et sa naïveté de Breton, redoublée par son séjour en Bavière, lui a fait faire, à son arrivée à Paris, quelques maladresses, qui l’ont dépouillé à peu près de ce qu’il avait. Il a cru aux journaux ! Je crois qu’il conviendrait à Votre Altesse, si Votre Altesse daignait, pendant quelque temps, le prendre à l’essai.

Une difficulté, c’est que mon pauvre compatriote, plus doué de cœur que de froide raison, et plus en règle avec le droit de nature qu’avec le droit canon, a contracté dans un petit village de Bavière une union, pour lui sacrée, et à laquelle il ne manquera