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que j’ai un peu tardé à répondre à la lettre de Votre Altesse. Je n’ai pas besoin de dire à Votre Altesse combien je serai heureux qu’Elle me permette d’aller lui présenter mes devoirs à Prangins. A la fin du mois de juin, les cours du Collège de France seront terminés ; le moment de l’élection [1], où quelques personnes persistent à vouloir m’engager, quels que soient à cet égard mon scepticisme et mon indifférence, sera passé également. Il est vrai qu’à cette date Votre Altesse sera peut-être entraînée ailleurs par d’autres devoirs.

Je n’ai jamais plus redouté qu’en ce moment, une part de responsabilité dans les affaires de mon pays ; je plains sincèrement les hommes honnêtes et consciencieux qui sont chargés de résoudre un tel problème ; je ne refuserais pas cependant, si un tel devoir m’était imposé ; ce serait une lâcheté. Ainsi que vous, Monseigneur, je regarde la Révolution du 4 septembre comme un malheur et un crime, comme l’œuvre de cet étroit parti républicain, toujours assez fort pour empêcher tout établissement durable, mais pas assez pour faire triompher sérieusement son utopie. Comme vous, je crois aussi que la seule issue est l’appel au pays. Jamais Assemblée n’osera trancher la question dynastique : d’abord, parce qu’une Assemblée ne saurait faire une monarchie durable dans un pays aussi mobile et aussi contradictoire que la France ; et puis, parce que les honnêtes provinciaux qui composent une Assemblée, bons bourgeois, n’ayant rien de l’homme politique des pays aristocratiques, reculeront devant une telle responsabilité. Ainsi, tout en abhorrant le plébiscite, ils y viendront ; mais ils y viendront le plus tard possible, et en tâchant, d’ici là d’engager le pays. Votre Altesse doit bien croire que mes sentiments sont toujours les mêmes, et que ce que j’écrivais sur la Monarchie constitutionnelle en France je le crois encore. Plus que jamais, seulement, je vois l’importance de la capacité personnelle des gouvernants. Ce pauvre pays, bien que possédant d’admirables ressources, ne tirera pas de son sein une réforme sérieuse ; il faut qu’il soit pris, gouverné, remanié ; mais pour qu’une telle œuvre soit durable, il faut qu’elle soit exécutée par de grandes âmes et des esprits supérieurs. Ces grandes âmes, où sont-elles ? Autour de qui pourraient-elles se grouper ? Une chose, au moins, bien hors de

  1. Direction du Collège de France