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Mandela est dans une position charmante ; il y a lâ une vue admirable des montagnes, de délicieuses échappées sur l’Anio et la Digence, une fontaine adorable, que je soupçonne d’avoir été autrefois quelque déesse, comme celles auxquelles Horace offrait des sacrifices, dépossédée aujourd’hui de ses honneurs divins, mais non de son pittoresque.

Avec Hébert, j’ai fait de ravissantes promenades, et, quoique le temps nous ait empêchés d’aller à Roccagiovine et à Subiaco, j’ai pu prendre le sentiment complet de ce classique pays. Combien on est heureux de s’abstraire ainsi des tristesses d’un monde en décadence qui semble prendre à tâche d’exclure de son sein tout idéal, toute poésie !

J’ai vivement regretté l’acte illégal dont Votre Altesse a été l’objet en France. Votre Altesse était sûrement dans son droit, et le Gouvernement a commis une grande faute [1], mais la France est à l’état d’un malade que tout bruit agace. Je crois que Votre Altesse servira mieux le pays et le principe qu’elle représente en restant dans sa solitude de Prangins, qu’elle peut rendre si fructueuse, en écrivant ses Mémoires, ses Commentaires sur les choses du temps. Le jour où Votre Altesse peut être utile au pays n’est pas venu. Les Orléans ont, suivant moi, fait une faute capitale en rentrant en France, puisque cette rentrée les oblige, ou à se déclarer républicains, — ce qui, pour des princes, est une abdication, — ou à faire une opposition au Gouvernement, ce qui semblerait, de leur part, un acte antipatriotique et intéressé. Je désire vivement que Votre Altesse ne commette jamais une faute qui la mette dans cette fâcheuse alternative.

Mon voyage d’Italie m’enchante tellement, par les merveilles que je vois, que je n’ai pas le temps de m’arrêter à ce que je trouve d’un peu superficiel et étourdi dans les tendances maintenant dominantes. Quelques mots que j’ai dits au Cercle Cavour

  1. Le prince Napoléon, conseiller général de la Corse, muni d’un passeport régulier du consul général de France à Genève, régulièrement visé à Turin, Bruxelles, Londres, se rendit le 8 octobre 1872, accompagné de sa femme, la princesse Clotilde, au château de Millemont, appartenant à son ami M. Maurice Richard. Il y fut arrêté le 11 octobre sur les ordres de M. Thiers. président de la République, et de M. Victor Lefranc ministre de l’Intérieur, par M. Georges Patinot, chef du cabinet du préfet de Police. Il fut conduit à la frontière et expulsé de France. Ce fut seulement après quelques jours que M. Thiers fit présenter un projet de loi ayant pour objet de légaliser sa conduite.