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l’expérience conjugale l’a laissée déçue et curieuse. Elle aspire à des jouissances qu’elle n’a pas connues.

Un autre trait de sa physionomie, c’est le désir de faire parler d’elle. Poétesse, elle ne résiste pas au plaisir de nous dire que tout Béthulie sait ses vers par cœur. C’est une femme de lettres atteinte de ce goût de la publicité qui n’est pas rare chez ceux et même, dit-on, chez celles qui écrivent.

Telle est la femme, sur laquelle nous sommes renseignés aussi congrûment et incongrûment qu’il est possible. Nous savons, à ne pouvoir nous y tromper, quelles cordes fera vibrer chez elle l’idée, saisie au vol, d’assassiner Holopherne. C’est à ses yeux le beau geste qui fera d’elle la grande vedette de l’actualité. Et puis, un attrait singulier la pousse vers un homme si différent de ceux qu’elle a rencontrés jusqu’ici. Ce barbare sanguinaire la changera des israélites distingués qui lui font une cour respectueuse.

Sous la tente d’Holopherne. La décoration est du plus pur genre ballet russe. Du rouge, du noir, par grandes traînées. Cela n’a rien à voir avec l’antiquité juive, rien avec le goût de chez nous, ni avec aucune sorte de goût. Un art, si tant est que ce soit un art, rudimentaire et somptueux, un luxe criard, un ambigu de modernisme et de barbarie. Dans ce cadre l’auteur nous présente un Holopherne atroce et bon enfant, exécuté suivant le poncif qui a servi dans tous les drames romantiques pour les rôles de tyrans. Cet Holopherne-là nous l’avons vu en empereur romain et en podestat de la Renaissance. L’acteur qui joue le rôle en Néron glabre, ajoute encore à la ressemblance. Ce monstre d’orgueil et de débauche, dégoûté de la toute-puissance et de la volupté, ah ! que nous le connaissons ! Que nous connaissons ce fantoche creux et sonore, pour petits enfants en âge de croire à Croquemitaine ! Habitué qu’il est à se méfier, cette captive trop parfumée ne lui dit rien qui vaille. Ayant deviné qu’elle est venue pour le tuer, il la menace d’ignobles supplices. Ne. tremblez pas ! Elle ne court aucun danger.

Holopherne est un homme qui s’ennuie. Il est las des caresses résignées que lui prodigue le troupeau des captives. Alors, cette petite juive, qui vous a l’air d’un paquet de nerfs, éveille chez lui un désir. Et tel est le paroxysme auquel atteint bientôt ce désir : comme Arnolphe, pour lui prouver son amour, offrait à Agnès de s’arracher tout un côté de cheveux. Holopherne invite Judith à le tuer. Il lui met le cimeterre à la main. C’est le décapité par persuasion... Cette invention est-elle sublime ? En tout cas, elle est bien invraisemblable...