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compagnon M. Albert Mockel ; et celui-ci raconte : « Il y avait un jardin qui était une sorte de Paradis terrestre, tout hanté de beaux fantômes et de ces souvenirs de la Renaissance dont l’air même est saturé, à Florence. C’est là que nous écrivions, l’après-midi et le soir, après nous être pénétrés, le matin, dans les églises et les musées, de pure beauté... » La Chanson d’Eve : le premier éveil du monde ; et l’humanité enfantine occupée à prendre possession du monde créé pour elle et qu’elle crée, pour ainsi dire, une seconde fois, en l’apercevant, le comprenant et le trouvant beau. C’est aussi le premier éveil de la jeunesse et le symbole du monde qui renait à chaque fois que des yeux nouveaux le contemplent.

Charles Van Lerberghe a été l’ami de nos symbolistes. Certes, il a subi leur influence ; mais il a compté parmi eux et n’a pas moins donné qu’il n’avait reçu.

La première troupe des poètes de la Jeune Belgique, en 1880, choisit pour maîtres les Parnassiens : le symbolisme n’existait pas encore. Dès que se produisit chez nous le symbolisme, — excellente idée, mais qui se produisit avec un peu d’extravagance, — il eut en Belgique le plus grand succès. On devait s’y attendre. Ces Jeunes Belges, des révoltés et qui manquaient un peu d’information, allaient vite à la nouveauté du moment. Le vers libre les tenta, comme le naturalisme ; toutes audaces les séduisaient.

Voici le danger. La littérature belge est née sous les auspices de notre littérature à la fin du XIXe siècle, l’une des époques de notre littérature qui ne semble pas faite pour éduquer opportunément une jeune littérature. Les écrivains belges ont toute leur indépendance acquise. Mais ils écrivent en français, langue non pas toute neuve et qui dépendrait d’un chacun. Cela borne la liberté des écrivains belges, et français. Les uns et les autres, — les Belges en particulier, n’ayant pas de littérature classique à eux, — doivent se rattacher fortement, et avec une docilité qui n’a point gêné personne, au XVIIe siècle français, que nul écrivain de langue française ne saurait négliger sans méfaire.


ANDRÉ BEAUNIER.