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loin se gonfle et s’agite pour la kermesse des bateaux, verts, bleus, beauprés en l’air. Et voici la nuit, grise et noire ; dans les maisons chaudes, on s’endort, les bras en croix sur le cœur. Ce sont de petites images, simples de dessin, très nettes, vives de couleurs, images de Flandre. M. Victor Kinon a composé les ravissantes Chansons du petit pèlerin à Notre Dame de Montaigu : c’est, depuis le départ jusqu’à l’arrivée, puis au retour, avec piété, tout bonnement, un pèlerinage belge ; et tous les détails sont notés, avec une double dévotion catholique et belge. Emile Verhaeren a chanté, selon le titre de son poème le plus ample et qu’il a publié de 1904 à 1912, « toute la Flandre, » ses héros, ses campagnes, ses dunes, ses blés mouvants, ses villes à pignons, surtout son âme abondante, exaltée, avide et contente.

Que les écrivains belges consacrent à leur pays, à la peinture et la louange de leur pays, leur talent de peintres et de poètes, il ne faut pas s’en étonner : un sentiment naturel et touchant les y engage. En second lieu, ils marquent ainsi, comme je l’indiquais, leur qualité originale et suivent le précepte que la Jeune Belgique a formulé dès le premier jour : soyons nous, soyons Belges et très évidemment Belges. ,

C’est à merveille. Et qu’ils cèdent à la généreuse impulsion de leur génie, l’on ne saurait que les en complimenter. Leur pays est assez riche et varié, assez plaisant et pittoresque et, de toute façon physique et morale, est assez magnifique pour alimenter leur rêverie. Mais ils n’ont plus besoin de cette précaution, s’il ne s’agit que d’une précaution ; dès maintenant, ils sont maîtres de leur individualité, qui les distingue et les signale.

Quelques-uns d’entre eux, qui s’émancipent et prennent leur plus large liberté, gardent leur caractère. Au surplus, il importe assez peu désormais de savoir ce qu’il y a de belge, ou de moins belge, dans la poésie et dans la philosophie de M. Maurice Maeterlinck. Sa poésie et sa philosophie sont de lui ; et, comme il est de son pays, sa grande renommée est à la gloire de la jeune et féconde littérature belge.

On a un peu oublié aujourd’hui, injustement, un poète qui était le contemporain de M. Maeterlinck, mais qui est mort trop jeune il y a quinze ans, Charles Van Lerberghe. Il a été l’un des précurseurs et des inventeurs de la nouvelle poésie belge. Sa Chanson d’Eve, en dépit de quelques défauts, restera l’une des œuvres les plus étranges, les plus jolies et pensives de notre époque. Il l’a composée à Florence, le bel été de l’année 1901, dans le manoir de Torre del Gallo, sur la colline d’Arcetri, d’où la ville insigne se découvre. Il avait pour