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XI. — VÉRA ENGELGARDT ET BOB EROFÉEV

La magnifique épopée de notre lutte avec les bolchévistes fit naître beaucoup de héros. Combien d’entre eux, dont ne se souviendra pas l’histoire, mériteraient de ne pas être oubliés !

Des êtres absolument opposés de caractère et qui semblaient n’avoir aucun point commun furent rapprochés par un même idéal. D’un même élan, ils lui consacrèrent leurs jeunes existences, et la mort, cette grande égalitaire, acheva de les unir.

Je veux parler de celles que nous appelions les « demoiselles » Engelgardt, et du charmant Bob Eroféev.

Au cours de ces impressions, le lecteur a bien souvent vu revenir les noms des demoiselles Engelgardt. C’étaient deux sœurs qui avaient fait leurs études au couvent Smolny. Dès le début de la guerre, elles entrent à l’union Kauffmann (infirmières de la Croix Rouge.) Leurs deux frères sont au front, l’un au régiment de cuirassiers, l’autre au régiment Semenovsky. Toute cette jeunesse s’est envolée au front unanimement. Tatiana Engelgardt partit pour la Serbie et participa à la tragédie de l’armée serbe.

La Révolution, avec ses continuelles persécutions de l’armée et des officiers, avec ses « conquêtes » qui couvrirent de honte le glorieux titre de soldat, et de sang celui d’officier, entraine les deux sœurs sur la voie d’un nouveau dévouement à l’armée. Elles se donnent de toute leur âme à l’Armée volontaire. Pendant toute la durée de la campagne, on ne peut assez admirer l’énergie, la bonne humeur, la ténacité de ces jeunes filles qui supportaient si allègrement de si cruelles épreuves. Elles étaient, parmi nous, l’élément de noblesse, l’exemple qui ne nous permettait pas de nous relâcher, de faiblir, de céder aux mesquineries de la vie quotidienne. Nous avions avec nous des « demoiselles : » la seule vue de ces jeunes filles d’une tenue si parfaite, d’une humeur si égale, ne se plaignant jamais de rien, opérait sur nous et nous empêchait de nous « laisser aller. » Elles ennoblissaient tout ce qui approchait d’elles.

Véra était la cadette. Grande et assez forte, elle avait des traits accusés qu’éclairaient de grands yeux superbes et un sourire d’une infinie séduction.

Lorsque se termina notre campagne, je perdis de vue les deux sœurs pendant un assez long temps.

L’aînée se maria avec un de nos compagnons d’armes.