Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mécanisme d’une pièce shakspearienne. On verrait alors comment Shakspeare combine une intrigue à la fois pour produire des effets de variété et pour laisser aux interprètes des moments de repos ; avec quel naturel il amène les entrées et les sorties des personnages et règle leurs évolutions ; l’instinct qui lui fait adapter la diction au rythme psychologique, ici mettant un vers incomplet, que l’acteur remplira d’un geste, là prolongeant une tirade pour laisser à un mouvement le temps de se produire, toujours réalisant ce synchronisme si difficile à obtenir, — demandez aux comédiens qui ont tant de fois à se débattre contre des textes injouables, — entre les paroles et les actions, entre le souffle nécessaire pour prononcer les unes et l’effort physique que commandent les autres.

Cette étude d’où ressortirait l’habitude que l’auteur avait des planches pour les avoir arpentées, il est impossible de la faire ici. Mais il sera peut-être suffisant de lui substituer un témoignage qui, parce qu’il émane d’un homme du métier, a l’avantage de présenter un jugement fondé sur l’expérience de la scène. M. H. B. Irving, fils du célèbre acteur, et qui a lui-même tenu quelques-uns des plus importants parmi les rôles shakspeariens, a bien marqué la supériorité professionnelle de notre écrivain, lorsqu’il a dit : « Nous autres, gens de théâtre, nous savons que Shakspeare vit encore aujourd’hui sur la scène parce que, seul parmi tous ses contemporains, il a été non seulement un très grand poète, mais aussi le dramatiste par excellence. Il connaissait d’une manière intime l’instrument mis à sa disposition ; il connaissait le secret des effets dramatiques qui pour l’homme de théâtre, correspondent au mécanisme de l’histoire bien contée ou du poème bien ordonné. En un mot, Shakspeare possédait son métier d’homme de théâtre ; c’était le maitre artisan, quelquefois même le simple ouvrier de son temps. Ce n’était pas un génie de cabinet, mais des planches. »

Ainsi une étude précise de l’œuvre aboutit à cette constatation que l’auteur du théâtre shakspearien était doublé d’un acteur. Voilà qui nous éloigne singulièrement du patricien que les anti-stratfordiens rêvent de placer sur le trône dont ils déclarent la vacance. Et l’on a vu, d’autre part, combien les traits de la personnalité que l’on peut saisir au travers de cette œuvre si impersonnelle correspondent peu à l’idée que s’en sont faite ces critiques inutilement novateurs. L’homme qui a