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tandis que Ben relevait « son manque de savoir et son ignorance des anciens. » Mr Hales, qui avait écouté en silence, à la fin, impatienté, s’écria : « Si Mr Shakspeare n’a pas lu les Anciens, du moins ne les pille-t-il pas. » On ne saurait mieux dire. Il y a peu d’écrivains appartenant à la période de la Renaissance qui aient moins tiré de ce que l’on regardait à cette époque comme l’inépuisable et unique source de toute sagesse.

On pourrait faire les mêmes observations sur les autres sciences dont on a généreusement prêté la connaissance à Shakspeare. Les termes de droit dont il s’est servi ne sortent pas du vocabulaire limité qu’un homme ayant hérité, passé des contrats, acheté et vendu des propriétés, engagé des procès, pouvait retenir, sans même y prendre garde : ce sont les termes les plus usuels du jargon juridique. De même les comparaisons empruntées à la fauconnerie étaient d’usage courant, traînaient chez tous les poètes, et, si elles nous paraissent étranges, c’est parce que ce sport a complètement disparu de notre vie. Il n’était pas non plus nécessaire d’avoir pâli sur les livres d’histoire naturelle pour savoir que les vipères sortent par le beau temps, que la fourmi ne travaille pas en hiver, que les chenilles rongent les feuilles, que les papillons ne montrent leurs ailes enfarinées qu’en été ; — ou encore, que l’ivraie et les mauvaises herbes poussent au milieu du blé, que les bardanes s’accrochent aux vêtements, que le pavot a une vertu soporifique, que les osiers croissent le long des ruisseaux murmurants et que les narcisses paraissent en mars avant les hirondelles. Cartels sont, — on peut s’en assurer en ouvrant une pièce au hasard, — et le genre et la portée des remarques que Shakspeare a faites sur le monde animal ou végétal.

Et à côté de ces notions si modestes, combien d’erreurs décelant chez notre auteur l’ignorance de tout ce qui, ne pouvant être acquis par l’usage de la vie, doit nécessairement s’apprendre dans les livres ! Est-il besoin de rappeler les bévues historiques qu’il a naïvement lâchées dans nombre de ses pièces ? Je ne parle pas de son mépris pour la couleur locale : on n’avait pas de son temps le goût des reconstitutions savantes. Mais Shakspeare commet des anachronismes difficiles à expliquer chez « l’un des hommes les plus instruits qui aient jamais existé, » — lorsqu’il fait, par exemple, citer Aristote par Hector ou qu’il suppose l’usage de l’artillerie au XIe siècle. Il y a aussi dans son