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l’art français soumis à des influences septentrionales, annexa l’auteur du Puits de Moïse à l’« école bourguignonne. » M. Gillet voit en lui « un rameau détaché de l’école de Paris, » mais s’empresse d’ajouter que cette école « est presque entièrement inconnue et anéantie, » ce qui rend sa première assertion un peu conjecturale. Est-il donc nécessaire de classer dans une école bourguignonne ou parisienne ce génie étrange et solitaire ? Il a exercé un grand empire sur les imaginations en Allemagne et même en France ; ses admirateurs et ses imitateurs ont précipité le violent courant de réalisme qui s’est, au XVe siècle, formé dans tous les arts ; cependant, si grande qu’ait été la vogue de ses ouvrages, beaucoup d’autres sculpteurs, dans le même temps, perpétuèrent le style et l’esprit des imagiers d’autrefois. Au moment même où Sluter sculptait le portail de la Chartreuse de Champmol, un maître dont on ignore le nom exécutait sur la façade du château de La Ferté-Milon le Couronnement de la Vierge, « un des plus parfaits chefs-d’œuvre de la sculpture française, » dont la noble et tranquille élégance ne rappelle en rien la manière tumultueuse et forcenée de Sluter. Et la Vierge du Marturet et l’Ange du Lude et la Sainte Marthe de Troyes et tant d’autres statues, restées dans nos églises ou réfugiées dans nos musées, attestent que des sculpteurs de Reims à Michel Colombe, une lignée d’artistes a gardé intactes les qualités essentielles du goût français.

Cette lignée se continuera au seizième siècle, elle est encore vivante parmi nous. L’admiration des génies étrangers, même les plus séduisants, même les plus impérieux, ne l’a jamais rendue infidèle à ses origines.

On sait les disputes des historiens au sujet de la Renaissance. Selon les uns, elle a dissipé les ténèbres où le Moyen-âge avait plongé l’humanité : ce fut une libération. Au gré des autres, elle a perverti l’instinct national et inauguré l’ère des imitations et des artifices : ce fut un asservissement. Pour la France, — et l’on comprendra que dans une « histoire de la nation française » l’auteur s’en tienne à ce point de vue, — les deux thèses opposées sont dénuées de sens. Le Moyen-âge demeure la période la plus glorieuse de notre art, et la critique académique n’a pu détourner les Français d’admirer les œuvres extraordinaires du treizième siècle. D’autre part, il est certain qu’au quinzième siècle, mal à l’aise dans des formes qui se desséchaient ou se