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historien n’a point travaillé dans son studio, devant une collection de photographies.

Contempler les œuvres ne suffit pas, si l’on veut échapper au reproche de légèreté et de « littérature. » Depuis une soixantaine d’années, il s’est poursuivi, en France et ailleurs, un abondant travail d’investigation qui a dissipé beaucoup de légendes, substitué des constats précis à d’invraisemblables hypothèses, remis au point, par une sûre chronologie des œuvres et des artistes, les questions d’origines et d’influences. Enfin il y a dans l’histoire de l’art des époques ténébreuses où l’on en est réduit à interroger des fragments à demi brisés ou des monuments travestis par les restaurations : pour interpréter ces indices incertains les antiquaires ont rivalisé d’ingéniosité, parfois de fantaisie. Ces recherches, ces hypothèses, ces conjectures, il faut, pour les connaître, avoir dépouillé les traités, études, notices, notes et notules que l’archéologie a entassés dans ses manuels et ses bulletins. M. Louis Gillet s’est acquitté de cette besogne avec une conscience qu’attestera quiconque eut une fois l’occasion d’étudier une des mille questions qu’il a, en passant, signalées d’une ligne. Bien des livres surchargés de références inspirent moins de confiance que cet exposé qu’on dirait écrit de verve, tant l’allure en est libre, entraînante, mais où chaque mot, on le devine, fut mûrement pesé.

Se promener sur les routes et dans les musées de France, plaisir de dilettante ; s’initier aux doctes et subtiles disputes des archéologues, passe-temps austère, souvent un peu fastidieux. Il eût été facile de distribuer les matériaux ainsi rassemblés dans des compartiments méthodiques, siècle par siècle ou style par style. Mais l’ambition de M. Louis Gillet a été d’en faire un livre, un vrai livre où rien d’essentiel ne serait omis et où tout se fondrait en une vivante synthèse. « Si ce livre, écrit-il, a un mérite, c’est d’effacer les antithèses, les divisions tranchées, l’arbitraire des coupures par « siècles » à l’aide desquelles les manuels font trop souvent l’histoire, et de restaurer à la place la continuité et les nuances de la vie. » Ce livre a encore d’autres mérites, mais celui-là est assurément le plus original.

Tout devait rendre odieux à M. Louis Gillet l’appareil didactique aujourd’hui cher à certains historiens. Dans son ouvrage règne une sorte de lyrisme qui ne peut s’accommoder des classements artificiels. Il aime trop passionnément les chefs-d’œuvre