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et quand vous iriez jusqu’au bout du monde, vos yeux ne se fermeront pas qu’ils n’aient revu le ciel de Rome.

Je ne manquerai pas d’accomplir le geste rituel ; je veux avoir la joie de penser, au lointain, que je ne puis pas ne pas revenir à l’appel de ces eaux. Mais je n’entends pas le fracas de leur chute, qui couvre d’ordinaire tous les bruits environnants ; elles ne tombent plus, en nappes, en gerbes, en poussière irisée, en écume neigeuse, du haut du vaste portique qui nuit et jour les versait à profusion. Des hommes circulent entre les jambes de Neptune, et caressent familièrement les Tritons : Neptune paraît courroucé, et les Triions, penauds, soutient en vain dans leurs conques marines. Ces hommes nettoient, frottent, brossent ; comme s’ils ne savaient pas que le limon doit couvrir la barbe du Dieu, ils raclent les mousses, ils arrachent les viscosités. Qui aurait pensé que ces divinités de pierre avaient besoin, pour leur toilette, de ces petits hommes qui grimpent irrévérencieusement sur leur dos ?

Tant pis. La vasque n’est pas tellement desséchée, qu’une flaque d’eau propice ne puisse encore recueillir mon offrande. Je la jette, sous l’œil des passants qui ont vu trop souvent pareil spectacle pour en être encore étonnés. J’ai peur qu’elle ne profite aux serviteurs plus qu’aux maitres des eaux. C’est leur affaire : j’ai lié partie, pour mon compte, avec les dieux du retour.


PAUL HAZARD.