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par les rues, les chefs des missions lointaines qu’appelle la Propagande, bronzés, barbus, aguerris. Voici les évêques étrangers, que la guerre avait retenus dans leurs Amériques, et qui viennent ad limina. Passent les cardinaux dans leurs voitures ; on entrevoit un lambeau de rouge, une figure ridée ; comme leur rang princier leur interdit d’aller à pied dans les rues de Rome, ils se font conduire vers la campagne : hors des portes seulement, ils se dégourdiront les jambes et se réchaufferont au soleil.

Oui, des prêtres de toute espèce vivent ici, depuis les plus humbles qui, n’ayant pas grand chose à offrir, offrent cependant à Dieu tout ce qu’ils ont, jusqu’aux plus grands personnages de la hiérarchie romaine, jusqu’à la puissance suprême qui veille derrière les murs du Vatican. A Saint-Pancrace, sur la hauteur, se trouvent une osteria que connaissent bien les promeneurs du dimanche et un pauvre couvent. On me conduit à l’osteria pour diner ; mais on me fait traverser d’abord la modeste église près du couvent, parce qu’on veut me faire faire la connaissance de Padre Paolo. Justement, Padre Paolo est là qui gourmande les enfants du catéchisme : un moine tout menu dans sa robe de bure, tout ridé, aux yeux innocents. Padre Paolo est peintre : il peint, en miniature, des madones qui n’ont rien à envier aux maîtres florentins. — Padre Paolo, très louché de ce compliment, se défend avec gaucherie, comme font les simples. Padre Paolo est poète ; il compose des vers dans le genre de Métastase, sur les mêmes sujets, avec les mêmes rimes ; il parait qu’il a fait une poésie satirique aussi vigoureuse que du Juvénal. — Padre Paolo rougit de plaisir. Padre Paolo est musicien ; il a une voix magnifique qu’il fait retentir quand il le veut bien, pour les fidèles et pour ses amis. — Padre Paolo ne se tient plus d’aise. « Padre Paolo, ne viendriez-vous pas nous rejoindre un peu plus tard, vers l’heure où l’on se met à table, pour nous tenir compagnie ? » Non, Padre Paolo ne viendra pas. La semaine dernière, il a cédé à une tentation du même genre ; il s’est attardé ; il a failli trouver porte close lorsqu’il est rentré au couvent, à huit heures sonnant : une seconde de plus, et c’en était fait. Le Prieur, qui est rigoureux, ne tolérerait pas une telle liberté.

Nous nous installons sous les grands lauriers de l’osteria ; et qui apparaît, au bout d’un temps ? Padre Paolo en personne. Il