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la nuit les foules anxieuses ; la population de Milan, la grand ville, vit dans un état d’exaltation continue : on dirait que Milan est menacé, comme Paris. Alors tous, ceux de Turin, ceux de Venise, ceux de Rome, sentent s’éveiller dans leur cœur une grande pitié pour la France qu’ils aiment. Car ils l’aiment, ils le sentent bien maintenant, d’un amour profond, insoupçonné, comme un instinct qui se réveille. Et cette pitié n’est pas la sympathie lointaine et peureuse des neutres ; elle est courageuse et efficace ; elle pousse vers l’action. Le sort en est jeté ; rien ne pourra s’opposer au flot qui emporte successivement tous les obstacles dressés devant lui. Comme on les accumule ! Comme on cherche à détourner, à endiguer, au nom de la sagesse, au nom de l’intérêt, ce flot irrésistible ! C’est en vain ; devant la mer génoise, d’Annunzio prêche la croisade ; l’Italie ne séparera pas ses destinées de celles de la France.

Cette image-là je veux l’avoir toujours présente devant les yeux. Il faut qu’elle soit autre chose qu’un souvenir émouvant, et qu’elle dirige ma conduite, afin que, par sa vertu, elle me conduise toujours vers ceux qui, dans l’un et dans l’autre pays, travaillent à l’union des esprits et des cœurs. N’a-t-elle pas quelque chose de sacré ? Comme font les gens pieux qui portent toujours une relique des saints, et qui la contemplent lorsqu’ils sont sur le point de tomber en tentation, je la garderai. Je ne la garderai pas pour moi-même, je m’efforcerai de la montrer aussi à ceux qui doutent. Elle agira, s’il est vrai que les puissances de haine sont toujours moins fortes, à la fin, que les puissances d’amour.


AUTOUR DU VATICAN

Je n’accomplirais pas tout entier mon dessein, si avant de quitter Rome je n’obtenais une audience du Vatican ; je l’ai demandée, j’attends qu’un des huissiers traditionnels m’apporte la feuille blanche.

C’est ici la ville des prêtres. Ils sont revenus maintenant, ces séminaristes étrangers qui sont comme des figurants dans le décor de la ville ; ceux-ci, dont la soutane noire est barrée d’une large ceinture de couleur ; et ceux-là tout de rouge habillés, que le peuple appelle des écrevisses ; et les Écossais, qui jouent bravement au foot-ball sur les pelouses de la villa Borghèse, en remontant leur robe jusqu’à la ceinture. On les rencontre