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aux soldats italiens tombés sur notre front ; elle a été reçue par nous, à Paris, à Reims, à Bligny, avec une amitié que justifient les lois de l’hospitalité, la camaraderie des armes, et le caractère même de la commémoration. En retour, le Gouvernement de Rome invite une mission militaire française à venir rendre hommage à ceux de nos soldats qui sont tombés sur le front italien. Cette mission arrive ; elle est accueillie avec froideur à Turin, avec hostilité à Milan ; elle est insultée à Venise. Nos généraux, choisis parmi les plus glorieux, sont hués. Notre drapeau est sifflé à son apparition Notre ambassadeur est publiquement offensé. La population assiste à la scène, goguenarde ; et le lendemain, la presse, tout en avouant qu’il s’agit là d’un acte contraire à toutes les lois de l’hospitalité, commente le fait avec une manière de satisfaction <ref> Signalons ici, toutefois, parmi les protestations qui se sont élevées, le noble et vigoureux article du Corriere della Sera, intitulé : Seminatori di viltà.</<ref>. Image pénible, accompagnée de pénibles légendes ; le déshonneur n’en est pas pour nous, mais elle ne laisse pas de se présenter quelquefois à l’esprit avec la force d’une obsession.

Pourtant, nous devons l’écarter ; non parce que nous sommes un peuple frivole et léger, qui oublie tout, comme on nous en accuse ; nous avons suffisamment montré, je pense, que nous savions nous souvenir. Pour l’écarter, cette image qui nous blesse, il faut évoquer l’autre, si éclatante qu’aucune ne peut soutenir la comparaison avec elle, et que toutes s’estompent et s’effacent devant sa splendeur. Ce n’est pas une image arrêtée et figée ; elle est mouvante, et vivante encore. Je vois toutes les villes d’Italie, depuis Milan jusqu’à Naples, et la Sicile aussi, et la Sardaigne, tressaillir à l’idée du danger que court la France. C’est à la fin du mois d’août 1914 ; on vit dans une atmosphère lourde et angoissée ; on raconte que les armées de l’empereur d’Allemagne ont envahi la Belgique, ont pris Liège, et descendent, descendent vers la France avec la régularité d’une machine dont rien ne peut plus arrêter le mouvement. Elles s’en vont vers Paris, la grande ville menacée de la destruction que ces armées formidables apportent partout où elles passent ; déjà la flamme des incendies monte à l’horizon. Telles sont les nouvelles qui arrivent en Italie. On se dispute les éditions des journaux, on va le soir lire les télégrammes ; les gens qui ne se connaissent pas s’abordent et s’interrogent ; une fièvre tient éveillées tard dans