Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plan pour faire contraste ; une patine uniforme, étendue par le temps, fondait les rouges foncés, les ocres bruns, les ors ternis, dans une harmonie à la fois délicate et riche.

Or voici que le ciel s’assombrissait, prenait des teintes gris de fer, des teintes de plomb. Un immense nuage venait sur la ville, et la menaçait toute. Il cachait les collines à l’horizon, envahissait le ciel, se rabattait comme une cape de métal, prêtant à tout le décor, corniches, campaniles, dômes, et statues, une teinte funèbre. La chaleur était étouffante ; on respirait un air embrasé ; tout mouvement devenait une fatigue, et presque une peine ; on se sentait nerveux, et comme inquiet.

Maintenant, le gris tournait au noir ; le nuage et le soir tombaient à la fois sur Rome. Des éclairs verdâtres, sillonnant le ciel irrité, laissaient voir au lointain, en de nettes et rapides silhouettes, les cyprès et les pins parasols qui appréhendaient la tourmente.

Je m’enfuis, espérant regagner mon logis avant que l’ouragan se déchaînât. Mais à peine avais-je franchi la porte du palais, que la pluie se mit à tomber. Elle tombait à torrents, comme on dit qu’elle tombe aux pays des grandes sécheresses, lorsqu’après s’être longtemps amassée elle crève enfin le ciel ; elle tombait par paquets, giclant le long des maisons, chaque gouttière transformée en fontaine, chaque ruisseau transformé en torrent. On l’entendait crépiter sur les dalles de pierre, tandis que le tonnerre scandait sa chute de ses grondements. Le porche où je m’étais réfugié, sur le Corso, était assiégé par elle, avec fureur. L’eau s’élevait dans la rue et l’inondait ; les pâtés de maisons devenaient des manières d’iles, où nous fûmes pour une heure prisonniers.

Tout se calma. Le ciel reparut, paisible et plein d’étoiles. Plus un nuage ; plus un éclair. Dans les rues qui se dégorgeaient, les promeneurs reparurent. On aurait cru à un rêve, n’eût été la fraîcheur de l’air, et la transparence de l’atmosphère lavée, que l’on saisissait malgré la nuit.

Alors je fus romantique, pour une fois ; et je crus voir dans cet orage si brusque, si vite suivi d’une paix si profonde ; oui, je crus voir dans ces rapides vicissitudes, dans cette violence et dans cette sérénité, le caractère de Rome.