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tournaient autour de lui comme des mouches. Il avait rapporté une pipe avec le roi à cheval, qui avait l’air en vie, et il frottait ses allumettes au derrière de son pantalon, en levant la jambe, comme s’il lançait un coup de pied.


Et le drame, le défi, le duel, l’adversaire blessé qui se baisse et jette à son rival une poignée de sable dans les yeux, et la fin rapide et tragique


— Ah ! hurla Turiddu aveuglé, je suis mort.

El il cherchait à se sauver en faisant en arrière des bonds désespérés ; mais le père Alfio l’attrapa d’un coup dans l’estomac et d’un autre à la gorge.

— Et de trois ! Voilà pour les cornes que tu m’as plantées chez moi. A présent, ta vieille laissera ses poules tranquilles.

Turiddu battit des bras un moment çà et là dans les figuiers d’Inde et s’écroula comme une masse. Un bouillon de sang lui sortait en écumant de la bouche. Il n’eut pas le temps de dire : « Maman ! »


Aussi, tandis qu’ailleurs le mouvement naturaliste recule sur toute la ligne, et traverse ce crépuscule qui est l’épreuve des systèmes, on voit grandir l’ombre sévère du Maître de Catane. Il y a vingt-cinq ans, Zola parcourait l’Italie dans l’éclat de sa gloire et porté en triomphe sur le tas gigantesque de ses « éditions ; » et il traitait Verga sur un ton protecteur. Aujourd’hui, les rôles sont changés. La masse des Rougon-Macquart s’enfonce à l’horizon. On pouvait croire que Verga s’abimerait avec elle, et c’est le contraire qui arrive. Le vérisme a passé, moins vite encore que les diverses réactions esthétiques qui ont cru le remplacer. L’Italie n’est pas romantique. Verga lui donnait en silence les chefs-d’œuvre qu’elle attendait. Il a été l’historien de son dur paysan ; il a esquissé le roman de l’unité nationale. Et surtout, comme artiste, il a retrouvé le style, ce je ne sais quoi d’intraduisible qui est le son et l’accent du génie du terroir ; et ce sont ses livres qu’il faut lire pour comprendre cette vertu intime, que vient rapprendre chez lui la jeunesse nouvelle, instruite par la guerre, le mâle secret de ce qui s’appelle : l’Italianità


LOUIS GILLET.