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de la vie des humbles. A mesure que les idées se compliquent, il devait moins suffire à en exprimer toutes les nuances. Et c’est peut-être cette difficulté de style qui arrêta Verga dans l’exécution de son œuvre. Il pouvait raconter ainsi les Malavoglia ; il pouvait raconter encore Mastro-dun Gesualdo, qui est, pour le dire en passant, un des livres les plus « balzaciens » qui soient, par le spectacle de la fatalité qui dompte un type de parvenu et qui finit par l’écraser. Verga n’a rien écrit de plus fort que certaines pages de ce roman, en particulier les dernières, celles qui nous décrivent la mort de son héros, dans le palais de sa fille, à l’étage des domestiques. La méthode devenait impuissante pour les épisodes suivants, ceux de la Duchesse de Leyra ou du Député Scipioni. Mais ne nous plaignons pas. Rien ne valait pour nous l’œuvre qu’a faite Verga. Assez d’autres peuvent nous dire les lares de la bourgeoisie et les vices qui paralysent les dons les plus brillants dans les Hommes de luxe. Lui seul pouvait nous faire comprendre le fonds solide, le stoïcisme et l’opiniâtreté, la résignation, la noblesse de ces grands taciturnes que sont les paysans, ce qui subsiste de romain dans ces âmes calleuses. On touche là le tuf et le roc. Son art était peut-être limité à un ordre étroit de sujets, mais c’était le sujet qu’il nous importait de connaître. Cet art est d’ailleurs plus à l’aise dans un cadre borné, et c’est là qu’il parait le plus grand. La Sicile n’est-elle pas la patrie de l’idylle ? Verga est un des maîtres accomplis de la Nouvelle. On croit entendre dans ses contes la voix impersonnelle d’une race : une sobriété, une rapidité abrupte, une grandeur d’expression, où chaque mot porte, ou chaque trait a la frappe d’une médaille. Les choses ont des arêtes brusques et sont liées à joints vifs, sans transition et sans mortier. Et quelquefois, à force d’art, l’auteur est parvenu à disparaître tout à fait, pour ne laisser à son œuvre que le rythme et la cantilène des légendes anonymes, comme il lui arrive dans la Louve ou dans cette immortelle Cavalleria rusticana :


Quand Turiddu Macca. le fils à la Nunzia, revint de faire le militaire, il se pavanait tous les dimanches sur la place du village, en uniforme de soldat, le bonnet rouge sur l’oreille, et il faisait autant d’effet que l’homme à la bonne aventure, quand il installe sa baraque, avec sa cage à serins pour enseigne. Les files le mangeaient des yeux, en allant à la messe, le nez dans leurs mantilles, et les gamins