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de la forme, et c’est sans doute ce qu’il voulait dire, quand il raconte l’anecdote de ce journal de bord qui fut pour lui un trait de lumière. Évidemment, ce n’est pas du style, si l’on entend par là la rhétorique décorative des romanciers lyriques. Verga ne fait pas de « phrases, » il ne soigne pas ses périodes, ne cherche pas d’effets, ne travaille pas le « morceau ; » jamais de réflexion, jamais d’explications, jamais un de ces paysages obligés qui, dans les romans de cette école, ont l’air de tableaux accrochés dans un appartement. S’il faut nommer l’Etna, il dit, l’Etna, sans plus. S’il décrit, c’est en quatre mots, et toujours comme décrirait un de ses personnages, nullement comme se doit de le faire un « artiste » : « Après minuit, le vent se mit à faire le diable, comme s’il y avait sur le toit tous les chats du pays. On entendait la mer mugir sur les écueils, comme si c’étaient tous les bœufs de la foire de la Saint-Alphée, et le jour se leva enfin, noir comme Judas. » Cette manière de dire, pleine de bonhomie, où rien ne sent son auteur, où l’écrivain s’applique à substituer toujours à l’expression savante l’expression familière, où la perfection consiste à reproduire, comme si cela coulait de source, la parole naturelle, c’est bien un art aussi, un art où il ne faut pas croire que l’on atteint sans peine, et personne, depuis Manzoni, n’en avait retrouvé le secret.

« Écoutez, écoutez, aimait à dire Verga, et vous apprendrez à écrire. » On croirait, en effet, dans ses meilleurs ouvrages, entendre conter un vrai paysan de Sicile. Mais là encore, il y avait un danger. On sait que la langue littéraire ne se parle pas en Italie, et qu’en dehors du toscan, l’usage a maintenu cinq ou six dialectes très vivants ; ces dialectes ont leurs poètes, et souvent fort célèbres, tels que M. Pascarella pour le romanesco, ou M. di Giacomo, pour le patois de Naples. Il ne tenait qu’à Verga d’écrire en sicilien ; seulement il serait devenu presque incompréhensible. Il en a usé avec tact, en se bornant à traduire dans la langue commune les sentences, les proverbes, le tour particulier de la syntaxe de son pays. Sa langue est ainsi pénétrée de saveur populaire, tout imprégnée de cette sagesse immémoriale qu’on trouve déposée dans le discours, qui est le résidu d’expériences sans âge et le résumé des traditions séculaires d’une race.

Assurément, ce langage semble convenir surtout à la peinture