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comme un chat, et arc-bouté sur le bordage pour faire contre-poids, il se laissait pendre sur la mer qui hurlait dessous, prête à l’avaler...

— Tiens bon ! liens bon ! hurlait le vieux dans le fracas des vagues...

La voile tomba d’un seul coup, tant la toile était raide ; en un moment, ‘Ntoni l’eut roulée et ficelée.

— Tu sais le métier comme ton père, dit le vieux. Toi aussi, tu es un Malavoglia...

— Où sommes-nous ? demanda ‘Ntoni, après un temps, le souffle au bout des dents, à force de fatigue.

Dans les mains de Dieu, dit le grand père...

Le vent gênait la manœuvre, mais en cinq minutes la voile se déplia de nouveau, et la Providence se mit à danser sur la crête des vagues, couchée sur le flanc comme une mouette blessée. Les trois hommes pesaient tous du côté opposé, accrochés au bordage ; personne ne soufflait mot, parce que, quand la mer se met ainsi à faire la grosse voix, on n’a pas le cœur à ouvrir la bouche.

Le vieux dit seulement : « A cette heure, là-bas, on dit le chapelet pour nous. »


Mais ce qui, plus que tout le reste, fait le caractère propre de l’œuvre de Verga, c’est le style. Je sais que son style a été vivement critiqué, et qu’on accuse souvent Verga de mal écrire ou de ne pas écrire. Il est toujours très délicat pour un étranger de se mêler d’un pareil sujet. Cependant, je ne crois pas toute explication impossible. On a loué Flaubert d’avoir fait entrer dans le roman la notion de l’art et donné aux sujets vulgaires la dignité du style. C’est un lieu commun, depuis ce maître, que plus une matière est triviale, plus il convient d’y apporter le souci de l’expression et de la relever par le prix de la forme. Les Goncourt ont encore renchéri là-dessus, en inventant les raretés de l’« écriture artiste. » Si cette esthétique a raison, si l’art de dire consiste dans le raffinement de la langue écrite, si l’artiste est celui qui ne cherche dans un sujet qu’un prétexte pour faire briller sa virtuosité, Verga n’écrit pas. Mais il faut convenir que cette idée est nouvelle, et que nos pères l’entendaient mieux. La prose, dans le bon temps, n’était autre chose que la langue parlée, et les meilleurs auteurs ne se proposaient rien de mieux que de reproduire, en écrivant, les grâces naturelles du langage des honnêtes gens.

Écrire comme on parle, voilà quel a été, pour Verga, l’idéal