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ce dernier court, rond, rouge, infatigable polémiste, critique laborieux, champion de toutes les idées modernes ; Verga nonchalant, grand seigneur, le moins systématique des hommes, se méfiant des mots, volontiers ironique et, à l’heure où son ami se remettait rageusement au travail, devant son pupitre à écrire debout, se retirant pour s’habiller et dîner dans le monde. Il y avait un siècle qu’il ne publiait plus. On attendait depuis trente ans sa Duchesse de Leyra, le deuxième épisode de sa tétralogie des Vaincus, le roman qu’il remaniait et refaisait sans cesse, jamais satisfait de son ouvrage, et ne se décidant pas à y mettre le mot : Fin. Ses scrupules et ses exigences allaient croissant avec l’âge et l’expérience. Les dernières nouvelles qu’il donnait encore au public étaient loin de suffire à ramener l’attention, distraite par des œuvres plus bruyantes. Il paraissait avoir démissionné de la gloire. Depuis 1906, il n’avait plus écrit. Il vivait en marge du siècle, content de faire valoir ses terres, peu pressé d’argent et de renommée, en gentilhomme, indépendant, dédaigneux de forcer les suffrages, et suivant de loin, avec une indulgence amusée, la succession rapide des écoles et des goûts. Et il vécut assez pour voir, dans les dernières années, les plus sages des jeunes gens, enfin las d’inventer et de brûler des idoles, revenir doucement à lui et se glorifier de ses leçons.

Verga n’a pas de biographie : son histoire est celle de son œuvre. Il était Sicilien de vieille souche bourgeoise, étant né à Vizzini en 1840, et ne s’était jamais marié, n’ayant pas voulu dans sa vie d’autres obligations que celles de son art. Cette liberté lui semblait indispensable à l’écrivain. Ce qui n’empêchait pas ce sens de la famille, ces affections du sang pour les frères et les sœurs, qui sont un caractère de la vie italienne, et qui forment un des thèmes de l’œuvre de Verga. Il avait commencé, de vingt à trente-cinq ans, par écrire sept ou huit volumes de romans historiques ou d’études passionnelles, qui fondèrent sa réputation. Si l’on en croit le chiffre des tirages, ce sont ces livres de jeunesse qui, aujourd’hui encore, ont les préférences des lecteurs. Le plus connu, l’Histoire d’une Fauvette, est le journal d’une jeune fille sacrifiée par une belle-mère, qui la contraint d’entrer malgré elle au couvent, où elle meurt folle. Cette anecdote sentimentale a eu chez nos voisins le même genre de succès que chez nous l’Histoire de Sibylle. Tous