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assis à son chevalet, dans un charmant portrait de 1790 (galerie des Offices), que confirme, de la manière la plus aimablement mélancolique, un autre portrait conservé au riche musée de Montpellier, datant de sa pleine maturité, par le peintre davidien N. Fabre, qui l’avait connu chez Alfieri et la comtesse Albany. Le XVIIIe siècle admettait entre les deux arts les plus intimes pénétrations. L’heure approchait où c’est la sculpture seule, la sculpture antique, qui, dans la doctrine orthodoxe, fera la loi aux peintres.

Avant de quitter Venise, Canova avait mis la dernière main à un groupe Dédale et Icare, dont le plâtre était resté dans son atelier. Il arrivait à Rome, tout frémissant d’ardente curiosité. Les journées lui étaient trop courtes pour tout ce qu’il voulait voir, dessiner, admirer. Ses carnets se couvraient de croquis. Les chevaux des Dioscures le remplissaient d’admiration. Il écrivait, dans son joli et zézayant dialecte vénitien : « Dixeme come se podaria far per no dormir tre ani ! » De Rome, il s’échappait à l’improviste pour de rapides excursions à Naples, à Herculanum, à l’impareggiabile museo di Portici. En 1781, il s’établissait définitivement dans la Ville Eternelle.

Elle était alors toute bruissante de théories, de discussions, de professions de foi esthétiques. David, qui n’y était arrivé que plein de résistance, décidé à ne pas se laisser prendre par l’antique « qui ne remue pas, » allait être converti par Quatremère de Quincy lui-même au cours d’un voyage à Pompéi, et se proclamer bruyamment « romain » avec les Horaces, en attendant de s’efforcer à devenir « grec » avec les Sabines… quitte heureusement à rester tout simplement français avec ses admirables portraits... Seul Prud’hon, l’enfant rêveur de Cluny, pensionnaire à Rome des Etats de Bourgogne, « assourdi » par le bruit grinçant des théories à perte d’haleine et des dissertations des cénacles où sévissait et « bombynait, » — comme la chimœra in vacuo des scolastiques raillés par Rabelais, — la raison raisonnante, allait chercher à Florence, à Parme, à Milan, un refuge auprès du Corrège et de Léonard, ses dieux... Mais la grâce prud’honienne et la grâce canovienne s’étaient d’abord attirées, comprises, et une amitié s’était ébauchée entre les deux artistes.

L’ambassadeur de Venise, le comte Zulian, — à qui le sénateur Falier n’avait pas manqué de recommander son protégé, —