Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le grand canal Elbe-Oder. L’effort tend à lier, par un réseau de lignes soigneusement combinées entre elles, la voie du Danube à tous les ports maritimes et fluviaux de l’Allemagne. Entreprise complexe et admirablement étudiée.

Enfin la troisième partie du projet n’est ni la moins originale, ni la moins hardie, ni la moins inquiétante. Ne tenant aucun compte des traités internationaux qui ont remanié la carte de l’Europe centrale, et considérant toutes les terres entre Baltique et Danube comme territoires allemands, les ingénieurs des Travaux publics ont imaginé le dessin d’un formidable lacis de voies d’eau unissant directement le Niémen au Danube, à travers la Pologne et la Tchéco-Slovaquie. Projet sur le papier, dira-t-on peut-être, et destiné à montrer que l’Allemagne entend mettre la main sur la Russie soviétique… Évidemment, ce n’est pour le moment qu’un projet ; mais les Allemands entendent bien montrer qu’ils le considèrent comme devant être réalisable dans un avenir donné, car ils mettent au travail leurs ouvriers dans la région où ils sont les maîtres, en entreprenant une énorme besogne sur les 51 kilomètres du canal des Lacs Mazuriques, besogne à laquelle ils attribuent un crédit de 30 millions en marks-or. L’indication est nette, elle est significative, elle montre quels desseins se dissimulent très peu derrière tous ces travaux. Ils ne visent à rien de moins qu’à l’asservissement de toute l’Europe centrale et orientale.

Tout naturellement, ce puissant réseau de voies navigables, appuyées sur le Danube, doit donner à l’Allemagne une base nouvelle et solide lui permettant de reprendre, à défaut de son expansion pour l’instant arrêtée vers l’Ouest, sa marche vers le Sud et vers l’Est.

Et l’ensemble des travaux de navigation intérieure répond bien à ce plan que traçait récemment Kurt von Strantz, parlant au nom du parti monarchiste et pangermaniste allemand : le Reich doit saisir le sol et le sous-sol russe, avec les blés, les bois, les viandes et les mines, de manière à interdire tout nouveau blocus de l’Allemagne, et assurer l’emprise sur les Roumains et les Slaves du Sud qui (je cite le texte) « doivent consentir, dans leur propre intérêt, à entrer dans l’unité allemande. »

Tel est ce plan dont la conception apparaît fort redoutable, — et dont il faut bien savoir qu’il n’est point un simple projet, mais bien un fait réel.