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Cette grande publicité, donnée aussi ouvertement à de tels projets, aurait dû inquiéter les Français plus qu’elle ne le lit ; — car ces projets ne pouvaient devenir des réalités solides qu’après la soumission volontaire ou obligée de la France, de la Belgique, de l’Italie et des Puissances balkaniques. En effet, l’idée directrice était celle-ci : organiser la traversée de l’Europe d’Ouest en Est par le moyen de voies navigables allemandes unissant les embouchures du Rhin et de l’Escaut, ainsi que le Pas-de-Calais, à l’Adriatique par Trieste, à la mer Egée par Salonique, à la Mer-Noire par Constantza. Suivant ce plan, Hambourg allemand, Rotterdam vassale, Anvers germanisé, Dunkerque asservi par des moyens que l’on n’expliquait point, fussent devenus des bouches aspirantes vis-à-vis du commerce américain septentrional, ainsi appelé vers l’Europe centrale. Le Rhin et le Danube, largement aménagés, eussent constitué le corps central de ce réseau qui aurait englobé l’Elbe, le Main, le Neckar, — Strasbourg, avec son port, devenant une sorte de gigantesque « plaque tournante, » suivant une expression imagée, du Mittel-Europa. D’autre part, Trieste autrichien, par conséquent allemand, Salonique grec et par conséquent germanisé grâce à un « pacte de famille, » et Constantza roumain, mais rendu vassal, se fussent trouvés fournir le pendant des ports de la Mer du Nord.

Ainsi la Méditerranée, — surveillée en Adriatique par Corfou, propriété personnelle de Guillaume II, en mer Egée par le Pirée, soumis à la reine Sophie, et sur les Détroits par Constantinople jeune turc, — fût devenue une sorte de lac allemand. Et le raccordement se trouvait fait directement avec le chemin de fer allemand de Bagdad. La route Hambourg-golfe Persique était donc, en direction des Indes, propriété de l’Empire allemand omnipotent.

Afin de réaliser ce rêve, il fallait, ou l’acquiescement douteux de la France, de la Belgique, de l’Angleterre et de l’Italie, ou bien une guerre victorieuse qui, conquérant la Belgique, écrasant la France, maintenant l’Angleterre dans la neutralité et l’Italie dans l’alliance, donnât à l’Allemagne le prestige du triomphe, le respect des voisins et l’argent liquide des vaincus.

La guerre fut déclarée.

La marche directe sur Anvers dont la chute était préparée de longue main, la ruée sur Dunkerque et Calais dont la