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LUTZEN

é mai 1813. — On se mit en marche de grand matin en suivant la route de Leipsick. Arrivée sur la hauteur et à l’entrée de la plaine de Lutzen, la division se forma en colonne sur la gauche de la route. A l’horizon en avant de nous, on voyait la fumée des canons ennemis. Insensiblement, le bruit augmenta, se rapprocha et indiqua qu’on marchait vers nous. Pendant ce temps, les 2e et 3e divisions de notre corps d’armée arrivaient et se formaient en colonne derrière nous, l’artillerie mettait ses prolonges et se préparait à faire feu. Toute la garde impériale qui était derrière se portait à marches forcées sur Lutzen en suivant la chaussée.

Enfin, nous nous ébranlâmes pour nous porter en avant ; notre division était à l’extrême droite. En colonne serrée, nous traversâmes la route et nous nous portâmes directement sur le village à droite de Strasiedel. Nous laissions à notre gauche le monument élevé à la mémoire du grand Gustave-Adolphe, tué à cette place en 1632.

En avant de Strasiedel, nous fûmes salués par toute l’artillerie de la gauche de l’armée ennemie et horriblement mitraillés. Menacés par la cavalerie, nous passâmes de l’ordre en colonne en formation de carré, et nous reçûmes dans cette position des charges incessantes que nous repoussâmes toujours avec succès. Dès le commencement de l’action, le colonel Henrion eut l’épaulette gauche emportée par un boulet et fut obligé de se retirer. Le commandant Fabre prit le commandement du régiment et fut remplacé par un capitaine. En moins d’une demi-heure, moi, le cinquième capitaine du bataillon, je vis arriver mon tour de le commander.

Enfin, après trois heures et demie ou quatre heures de lutte opiniâtre, après avoir perdu la moitié de nos officiers et de nos soldats, vu démonter toutes nos pièces, sauter nos caissons, nous nous retirâmes en bon ordre au pas ordinaire, comme sur un terrain d’exercice, et fûmes prendre position derrière le village de Strasiedel, sans être serrés de trop près. Le chef de bataillon Fabre fut admirable dans ce mouvement de retraite : quel sang-froid, quelle présence d’esprit, dans cette organisation inculte ! Un peu de répit nous ayant été accordé, je m’aperçus que