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noir, clopinant sur leurs pieds infirmes, les cheveux tirés, la figure revêche, les Chinoises ordinaires ne se signalent que par la morne coquetterie de quelques bijoux, auxquels elles n’ajoutent point de sourire ni de regard. Les plus jolies n’ont qu’un charme d’effacement. Les femmes Mandchoues sont plus belles, grandes et droites, dans la robe qui les inonde du cou jusqu’aux pieds, avec leur anguleuse coiffure de soie noire, leurs larges yeux immobiles, leur air d’idoles et leurs joues de fard.


Parfois, dans cette foule, aussi distincte d’elle qu’un vaisseau des flots qui le portent, une cérémonie apparaît : ce sont des cortèges funéraires ou nuptiaux, qui d’abord, pour l’étranger, ne se distinguent guère les uns des autres. On aperçoit, au-dessus des têtes, des cigognes de papier, ou, branlants, oscillants, tout formés de verdure, ces gros lions chinois pareils à des caniches épouvantables, qui tombent dans le bouffon, malgré leurs efforts pour rester terribles. Ce matin, je me trouve sur le passage d’un grand enterrement. Le ciel est gris, un vent aigre tourmente les jupes brodées des parasols d’honneur. Des hommes avancent sur deux rangs, vêtus de chemises vertes, serrées à la taille, où sont peints au pochoir des caractères couleur de rouille. Ils ont des chapeaux de feutre, plats comme des assiettes, avec un plumet dépenaillé piqué au milieu, et tiennent des hampes rouges terminées par des emblèmes bouddhiques de bois doré. Voici les grandes poupées de papier, serviteurs et concubines, qu’on va brûler pour les envoyer au mort, et qui, avec leur niais sourire, leur air de légèreté et d’inanité, semblent déjà tout prêts à s’évaporer dans les flammes. Des enfants portent sur des planchettes des pavés de papier doré, qui, dans cet appareil illusoire, représentent les richesses qu’on destine au défunt ; d’autres tiennent des bouquets de fleurs artificielles, dont les couleurs tendres semblent transir sur le fond du ciel menaçant. De place en place, marchent des hommes en culotte de toile, aux mollets et aux pieds nus, habillés, comme nos anciens forçats, d’une camisole et d’un bonnet écarlates, et tenant un gong qu’ils frappent parfois, pour régler les mouvements du cortège. Quand celui-ci s’arrête, les enfants plaisantent, rient entre eux, ou bien carguent à grand