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nations aura sans doute, avec la question des Détroits, quelque tablature. Il est à remarquer que l’Angleterre qui insiste avec raison pour la liberté des Détroits était, naguère encore, la plus résolue à en fermer l’issue aux Russes prisonniers dans la Mer-Noire. C’est surtout les Puissances riveraines de la Mer-Noire qu’intéresse la liberté des Détroits ; or tous les riverains du Danube sont riverains de la Mer-Noire où se jette ce grand fleuve. Lorsqu’on en viendra au règlement de la liberté des Détroits, il faudra réserver à la Russie, pour le jour où elle aura un Gouvernement approuvé par la nation et reconnu par les Puissances, sa voix et ses droits.

La liste des Puissances invitées à la Conférence de la paix d’Orient : Turquie, Grèce, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon, Roumanie, Etat des Serbes, Croates et Slovènes, appelle quelques réflexions. Pourquoi le Japon, si lointain, et pas la Belgique, comme lui et plus que lui belligérante ? Pourquoi pas la Tchéco-slovaquie et la Pologne ? On aime à penser que la Bulgarie sera au moins entendue ; l’article 48 du Traité de Neuilly lui donne le droit d’obtenir un débouché économique sur la mer Egée, à Dédéagatch, près de l’embouchure de la Maritza. Si la Grèce garde la souveraineté de la Thrace occidentale, la réalisation de ce droit sera malaisée. Pour la Grèce d’aujourd’hui, vaincue, affaiblie, ruinée pour longtemps, la Thrace occidentale sera un poids mort plus qu’une richesse et une force. Il serait bon pour tous les intérêts — surtout pour ceux des habitants — d’en confier pour quinze ans l’administration à la Société des nations. Il faut prévoir l’avenir : la sécurité, l’équilibre, les États balkaniques ne les trouveront que par un système fédératif dans lequel la Bulgarie aura sa place, son rôle, son issue sur la mer libre ; aucun décret de la Providence ne dispose que deux peuples yougo-slaves, aussi proches parents que les Serbes et les Bulgares, seront éternellement ennemis.

La question des minorités chrétiennes en Anatolie sera particulièrement délicate. L’incendie de Smyrne, de Panderma, quels qu’en soient les auteurs, nous rappelle la violence des haines et les massacres sans excuse dont, pendant la Grande Guerre, les Arméniens surtout furent victimes. Sur ce point la thèse anglaise est forte. Si les Turcs veulent vraiment tenter, dans la paix et l’ordre, l’expérience d’un gouvernement national, il faut qu’ils renoncent à la politique d’extirpation de tous les éléments non tures et qu’ils admettent une certaine intervention des grandes Puissances ou de la Société des nations en faveur des minorités menacées. La tradition française a