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militaire ; il considère comme inadmissible que des troupes françaises se trouvent à côté des troupes helléniques auxquelles le cabinet de Londres fait appel. La Serbie refuse de se laisser émouvoir. La Roumanie suit avec calme les événements. La Bulgarie proteste qu’elle ne songe nullement à inquiéter ses voisins. M. Lloyd George a tenté de jeter contre les Turcs une coalition ; il risque de se trouver seul. En Angleterre même, un courant d’opinion se dessine en faveur de la paix et d’une réconciliation avec les Turcs. Le parti travailliste se prononce nettement. Le général Townshend M. P. , fait prisonnier devant Bagdad par les Turcs en 1916, et qui arrive d’Angora, mène une active campagne contre la politique du Gouvernement. Pour lui, le débarquement des troupes anglaises à Constantinople, au printemps 1950, a été « un acte de folie, une profonde erreur stratégique et une bévue politique de première grandeur... Nous ne pouvons transformer Constantinople en un Gibraltar ou en un Suez, et plus tôt nous l’évacuerons, mieux ce sera pour nous et pour notre dignité. »

A partir du 18, le langage et l’attitude du Gouvernement britannique se modifient peu à peu. Le 19, une nouvelle note Reuter est déjà moins belliqueuse : on ne cherche pas la guerre, on ne vise qu’à protéger les zones neutres ; il n’y aura bataille que si Kemal viole ces zones et si, les ayant violées, il ne cède pas. Le même jour, lord Curzon arrive à Paris ; le 20, il a, dans la matinée, un entretien avec M. Poincaré, dans l’après-midi une conférence à laquelle se joignent le comte Sforza, l’amiral lord Beatty, l’amiral Grasset, le maréchal Foch. Il est probable qu’en se rendant à Paris le marquis Curzon n’avait pas renoncé à l’espoir d’amener à ses vues M. Poincaré et le comte Sforza, car, à la Conférence, il commença par s’étonner que les contingents français et italiens eussent été retirés de Tchanak ; selon lui, un accord de 1920 les obligeait à y rester, et d’ailleurs ne devaient-ils pas se conformer aux instructions du général Harrington, commandant en chef ? Le Président du Conseil français et l’ambassadeur d’Italie n’eurent pas de peine à répondre que, depuis 1920, la situation s’est modifiée, que d’ailleurs la France et l’Italie, résolues à ne pas se laisser entraîner malgré elles à un conflit qui serait déplorable, ne sauraient abandonner au général Harrington la responsabilité de disposer de leurs troupes contre les intentions des Gouvernements, qu’enfin la position de Tchanak n’était pas défendable. M. Poincaré et le comte Sforza se déclarèrent d’accord pour la réunion, le plus tôt possible, d’une conférence. Mais il faut agir vite. L’armée turque victorieuse, fanatisée par son succès, ivre de sang et de vengeance,