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En face des Turcs arrogants, les Alliés doivent présenter un front unique : Anglais, Français, Italiens, Yougoslaves, Grecs ; faute de cette entente, l’Angleterre sera obligée « de tenir seule la position avec l’aide des petits États qui ne désirent pas être pris entre les kémalistes et les bolchévistes et ne veulent pas être privés des droits nécessaires à la vie économique de leur pays. » (Sunday Times du 10.) La manœuvre se dessine ; l’Angleterre va essayer d’ameuter, pour arrêter les Turcs, la Roumanie, l’État serbe-croate-slovène, les forces grecques de Thrace. La presse anglaise du 12 développe la thèse : laisser les Turcs d’Angora revenir à Constantinople c’est provoquer un soulèvement des Balkans et hors des Balkans, remettre en question le traité de Bucarest aussi bien que celui de Neuilly ; on imagine, d’après des informations tendancieuses, une effervescence en Bulgarie, des rencontres de bandes. Londres demande au Gouvernement de Belgrade d’envoyer une division. Il s’agit bien de combattre, et de combattre avec les Grecs. On invoque la liberté des Détroits ; mais il suffit de lire la presse anglaise, pour voir que c’est la prépondérance britannique à Constantinople qui est en jeu et pour quoi on se battra. On donnera satisfaction aux Turcs en leur abandonnant l’Anatolie, mais les Grecs doivent rester en Thrace et les Anglais à Constantinople et aux Dardanelles. Déjà des renforts cinglent vers la Marmara. A Malte, en Angleterre, c’est le branle-bas de combat. M. Lloyd George s’adresse à tous les Dominions, leur explique que leur intérêt et leur honneur sont engagés à maintenir la prépondérance anglaise à Constantinople et dans les Détroits. C’est une question impériale. Le 11 septembre, les Hauts-Commissaires alliés à Constantinople remettent au représentant d’Angora, Hamid bey, une note invitant Mustapha Kemal à faire respecter par ses troupes la zone neutre délimitée aux abords des Détroits par une proclamation des Hauts-Commissaires du 20 mai 1921. On espère à Londres que, si les Turcs violent la neutralité de cette zone, la France et l’Italie se trouveront entraînées dans le conflit où les intérêts britanniques sont en jeu.

Le 12, lord Hardinge remet au quai d’Orsay une note où est exprimé l’espoir que le Gouvernement français restera fidèle aux principes énoncés dans le mémorandum du 26 mars. Ce même jour, M. de Montille, chargé d’affaires, remet au Foreign Office une note qui affirme que le Gouvernement français est d’accord avec celui de Grande-Bretagne pour le maintien de la liberté des Détroits, mais en tenant compte des droits des Turcs. Les Français et les Italiens disent : « liberté des Détroits ; » les Anglais entendent : prépondérance