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devint, plus particulièrement, l’adversaire réservé aux armées britanniques et ensuite, si l’on peut dire, son vaincu.

Ce fut, c’est encore, une opinion accréditée en Angleterre que, par droit de victoire, les dépouilles de l’Empire ottoman appartenaient exclusivement à l’Empire britannique. On ne s’est jamais demandé si ce n’est pas l’armée de Salonique qui a sauvé l’Egypte et, à la fin, contribué à l’armistice plus que les succès lointains de Bagdad et de Jérusalem. De là naquit l’idée, qui s’est traduite dans la politique du Cabinet de Londres, que la succession entière de l’Empire ottoman devait échoir à l’Angleterre ; on colorait, selon une méthode habituelle à l’esprit anglais, ces ambitions très précises, de l’intérêt des populations. Môme en Syrie, il n’y avait pas de place pour la France.

Après l’armistice bâclé par l’amiral Calthorpe, deux solutions s’offraient pour la question d’Orient. Une liquidation de l’Empire ottoman par affranchissement des populations chrétiennes et musulmanes non turques était possible ; les Turcs n’auraient gardé, sur les plateaux d’Anatolie, qu’un petit État protégé et contrôlé par les Puissances victorieuses. Une Arménie, un Kurdistan, une Ionie, une Thrace, une Syrie, un Liban, une Mésopotamie, une Arabie, etc., naissaient à la vie indépendante sous la tutelle de l’Europe. Une telle combinaison était conforme à l’esprit qui avait conduit la guerre et guidé la victoire ; mais elle était difficile à réaliser ; elle exigeait absolument l’entente étroite de l’Angleterre, de la France, de l’Italie et la coopération des États-Unis. Et qui dominerait à Constantinople ? La seconde solution était plus simple : reconstituer l’Empire ottoman, admettre que les Turcs ne se sont jetés dans la guerre que pour obéir aux Allemands et par crainte de la Russie, les amnistier en quelque sorte de tous les massacres commis pendant la guerre pourvu qu’ils achèvent de s’européaniser et qu’ils gouvernent leurs sujets selon les lois de l’humanité et de la civilisation.

La carence des Américains, l’activité particulariste des Anglais rendirent irréalisable la première de ces deux politiques. Au lieu de faire à l’influence française sa part, en tenant compte de la position morale et économique qu’elle avait avant la guerre dans tout l’Empire ottoman, au lieu faire appel à une collaboration nécessaire, les Anglais se comportèrent partout comme si leur adversaire était la France ; ils cherchèrent à l’expulser de Syrie en suscitant contre elle Feyçal. La première idée des dirigeants britanniques fut de chercher un appui dans une Turquie diminuée des pays arabes et