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prestement écrites avec le glaive de feu : cette pyrogravure ne me fait pas un grand plaisir. Peut-être vaut-il mieux, — on vient à se le demander, — ne point aimer la vérité d’une telle ardeur, l’aimer plus timidement et posément. Je ne crois pas que la vérité se prête à être maniée si fort. Enfin, le danger d’une telle hâte est le risque de prendre pour la vérité l’une de ses sœurs moins parfaites en dépit de quoique beauté, une erreur. Quanta l’influence de George Sand, « la postérité seule en pourra mesurer les désastres. » Si elle y pense !...

Musset ? Le poète de l’amour. Fi de l’amour et fi de ses chagrins ! Musset qui pleure pour l’infidélité d’une femme-femelle irrite M. Jean Carrère à un tel point qu’il s’écrie : « Non ! Non ! Par tous les déshérités du sort qui naissent, grandissent et meurent dans d’affreuses tanières ; par tous les vaincus de la vie, par tous les martyrs, par tous les apôtres, par tous les héros tombés, par tous les blessés de la chimère, par tous les crucifiés de l’idéal, non, un chagrin d’amour n’est pas une grande douleur. » Évidemment ! Et l’on n’a point envie de réfuter une opinion si généreuse, même si on la trouve un peu trop éloquente. M. Jean Carrère nous invite à n’être pas fort émus des malheurs inévitables et qui « se répètent des millions de fois chaque jour sur la surface du globe. » Nos « tristesses intimes ? » Cachez-les à vous-mêmes ! « Il faut à nos sanglots, pour les justifier, des causes au delà et au-dessus de nous-mêmes. Il n’est de grandes joies ni de grandes douleurs que les douleurs et les joies publiques. » Et j’allais dire, évidemment ! Je ne le dis pas. C’est trop dire, et avec trop de fougue. Enfin, Musset « symbolise l’incommensurable vanité de l’amour. » Il m’est impossible de prendre pour vraies, ni seulement pour fausses, de telles opinions si catégoriques.

Baudelaire est « un propagateur de lâcheté morale. » Comme Alfred de Musset : « A eux deux, des générations entières... « Des générations entières !... « doivent de n’avoir pas osé vivre, ou de s’être attardées longtemps dans le néant des rêveries. » Voilà l’influence de Baudelaire : immense et terrible ! Ces générations entières qui n’osent pas vivre, à cause de Baudelaire, prenez-y garde, c’est la fin du monde. Et cependant le monde continue ?...

Flaubert, c’est l’héritier des héros normands ; c’est, au XIXe siècle, Tancrède de Hauteville, Robert Guiscard, Roger de Sicile ou Guillaume le Bâtard. Bien ! Et, comme M. Jean Carrère veut que le poète soit un héros, voici Flaubert en excellente posture ? Eh ! non : ces Normands, aventuriers magnifiques, n’ont rien fait de bon, n’étant pas civilisateurs ni créateurs d’empires. Leur Guiscard les conduit à